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Benoîte Groult à Montréal
Ainsi soit l’étoile

4 octobre 2006

par Lucie Poirier

Au chauffeur de taxi qui lui demande la raison de sa présence à Montréal, elle répond : « J’ai écrit un livre et je viens en parler à la télé et à la radio ». Le chauffeur s’exclame aussitôt : « Ah ! vous êtes écrivaine ! »

Benoîte Groult, en relatant cette conversation, se réjouit de l’utilisation de ce mot écrivaine, refusé dans la pratique en France, et ajoute : « Vive le Québec ! » La salle applaudit dans l’auditorium de la Grande Bibliothèque, en ce mercredi 27 septembre 2006, alors que l’auteure raconte sa venue à l’écriture féministe.

« Le joug parternaliste, je l’ai accepté si longtemps, je suis restée soumise aux lois », mais en 1968, à 48 ans, elle constate que c’est lors de réunions de femmes qu’elle se sent à l’aise de parler et qu’elle est écoutée. Le mouvement féministe lui donne du courage pour regrouper ses idées.

Inspirée par le livre Femmes d’Orient, pourquoi pleurez-vous ? écrit par une Somalienne, elle entreprend des recherches et, en 1975, à l’âge de 55 ans, elle publie Ainsi soit-elle, un ouvrage retentissant et engagé, une œuvre phare pour plus d’une génération de femmes. Personne avant elle n’avait parlé des mutilations sexuelles infligées aux fillettes et aux femmes. Elle s’insurge contre les moyens physiques ou psychiques qui empêchent les femmes d’être des citoyennes comme les autres.

Depuis cette parution et jusqu’à son récent livre, La touche étoile, l’écrivaine, qui a des origines bretonnes et celtes, reste une féministe inspirante qui n’hésite pas à s’exprimer sur l’actualité et les relents misogynes qu’elle réactualise. Elle est convaincue de la nécessité de féminiser les mots : « Il est important d’être à l’aise dans les mots pour être à l’aise dans la fonction. Quand on perd le mot, on perd la notion qui est derrière. Ne pas féminiser, ça nuit aux femmes, ça les rend mal à l’aise, et c’est une façon de leur dire qu’elles ne sont pas à leur place. »

Elle évoque la mère de Camille Claudel qui décourageait sa fille de faire de la sculpture car il n’y avait pas de féminin pour le mot sculpteur. Hélas, Benoîte Groult a constaté que, sur la Place Camille-Claudel, un panneau la décrit en tant que « Sculpteur français ». Ce fait lui rappelle qu’à la mort de Marguerite Yourcenar ses collègues de l’Académie ont déclaré : « Nous regrettons la perte d’un de nos confrères. »

(Pour ma part, je me souviens que Claude Ryan, en 1989, avait demandé à l’Assemblée nationale que soit gardée une minute de silence en mémoire de « quatorze étudiants tués à la Polytechnique », alors qu’il s’agissait d’un féminicide revendiqué par le tueur lui-même.)

Par ailleurs, Benoîte Groult déplore : « La femme française se prend pour une séductrice, pas une combattante ». Elle traîne les conséquences de la loi salique qui a relégué la femme au rôle de favorite, de courtisane, de régente. Cette loi des Francs Saliens, excluant la femme de la succession à la terre, l’a empêchée d’accéder au trône pendant la monarchie régnante en France. Elle considère qu’encore aujourd’hui on incite les femmes à attendre un homme pour exister. « La presse féminine est désespérante », déclare t-elle, « on parle seulement de beauté avec des mannequins de 15 ans », alors que l’écrivaine a connu l’époque des femmes mannequins jusqu’à 50 ans puisque sa mère était couturière. Ele regrette que dans les magazines on n’habille pas la femme de 70 ans, ni même celle de 60 ou 50 ans.

Mais la France est quand même le pays où on interdit le voile à l’école. À ce constat de l’écrivaine, la salle applaudit à nouveau. Elle mentionne que Jules Ferry (1832-1893) a voulu que les élèves portent le tablier à l’école pour qu’on ne voit pas la classe sociale. Grâce à ce ministre de l’instruction publique française, l’enseignement primaire est devenu obligatoire, gratuit et laïque. Il a contribué à égaliser les conditions par un enseignement commun. Un siècle plus tard, tandis que la France, sur cet aspect des droits humains, peut se vanter, malheureusement, le Québec, lui, est incapable d’empêcher que les filles portent un symbole de soumission à l’école.

Depuis des décennies, par ses écrits et par ses prises de position, Benoîte Groult marque le monde littéraire, influence le domaine politique, laisse sa trace dans l’univers journalistique et inspire le mouvement féministe. Elle-même étoile, elle éclaire et influence une société où, pour les femmes, comme elle le disait : « Chaque droit est arrivé au compte-gouttes. »

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 septembre 2006

Lucie Poirier


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