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Maintenir notre engagement envers toutes les Aqsa Parvez

9 mars 2008

par Rosie DiManno, columnist, Toronto Star

Le fanatisme religieux est le pire des péchés.

Le fanatisme religieux justifie tout et travestit toute chose en vertu, comme s’il s’agissait de la volonté même de Dieu.

Les musulmans n’ont certes pas le monopole de la bigoterie. Toutefois, bon nombre d’entre eux arborent leur ferveur avec grande ostentation morale, tout comme leurs femmes arborent le couvre-chef, à tout le moins le hijab, et dans le pire des cas la burqa, sous la contrainte de la force ou de la menace.

On peut interpréter le port du voile comme étant une manifestation de pudeur ou comme de la soumission à des préceptes religieux. Personnellement, j’y vois la soumission à une religion imposée par l’homme ou, plus simplement, une soumission à l’homme.

En sous-texte : la féminité est honteuse, la femme est à la fois objet et sorcière ; à sa seule odeur, la folie s’empare de l’homme.

En Occident ainsi que dans les milieux musulmans éclairés, on fait valoir une certaine interprétation des textes pour justifier le port du hijab. Ses adeptes les plus forcenés, s’appliquant à couper les cheveux en quatre, ont même tenté de présenter le port du foulard comme une manifestation du féminisme, comme un rejet de la culture occidentale qui transforme la femme en objet sexuel ; ils y voient une revendication du droit de cette dernière à l’autodétermination.

Pour autant que je sache, les musulmanes instruites et ouvertes qui portent le hijab par choix voient généralement dans cet acte une prise de position politique contre l’Occident, l’œcuménisme et l’homogénéisation culturelle.

Cette position est fort défendable, tout comme l’est le droit de la femme à porter le hijab à titre d’accommodement raisonnable, y compris dans l’isoloir électoral.
En revanche, la tyrannie est indéfendable, et elle l’est certainement quand elle conduit au meurtre.

Or, en décembre dernier, dans la grande ville multiculturelle de Toronto, si plurielle et si satisfaite d’elle-même, c’est peut-être un meurtre qui s’est produit. Des meurtres, il s’en produit à coup sûr et de façon répétée dans les sociétés profondément religieuses, et ce, non seulement dans les pays musulmans fondamentalistes, mais partout aussi où l’on brandit la foi comme une matraque ; qu’on pense ici aux enclaves mormones polygames des États-Unis, à l’Inde rurale, aux colonies juives orthodoxes de Cisjordanie et, jusqu’à tout récemment encore, aux sociétés chrétiennes soumises au catéchisme sexiste du Vatican.

Je ne sais pas si Aqsa Parvez, la jolie adolescente de Mississauga apparemment insoumise, a effectivement été, tel qu’on le prétend, étranglée par son père pour avoir voulu échapper à certaines traditions religieuses et culturelles. Tout ce que je sais avec certitude, c’est qu’une jeune fille de seize ans, qui avait confié ses frustrations à ses camarades et qui avait récemment tenté de chercher refuge et sécurité en d’autres lieux - démarche traumatisante s’il en est -, est bel et bien morte et enterrée.

Elle n’est pas tout simplement « décédée », comme l’a affirmé son frère aîné Muhammad Shan Parvez aux journalistes. Elle a été étranglée, on lui a enlevé la vie. Le père, Muhammad Parvez, selon toute apparence un vaillant chauffeur de taxi, a été arrêté et sera vraisemblablement accusé d’homicide involontaire. Un des fils, Waqas Parvez, est accusé d’avoir entravé le travail des policiers. Certaines associations musulmanes ont dénoncé en toute sincérité le présumé meurtre. Toutefois, on a également été témoin d’attitudes défensives, et non seulement de la part de ces groupements. Certains groupes de femmes et d’activistes, écartant du revers de la main la possibilité que le port du hijab soit en cause dans cette tragédie, ont dénoncé le cancer que représente la violence familiale ordinaire.
Bien sûr, on se doit de condamner la violence familiale. Qui, en effet, l’approuverait ? Il est bien plus facile de condamner une cause qui prend la forme d’un dénominateur commun que de chercher à approfondir les détails et, dans les faits, nous savons bien peu de choses sur ce qui s’est passé dans cette tranquille demeure de banlieue. Cependant, quelques éléments sont établis avec certitude, même si certaines sensibilités culturelles nous dissuadent de voir les choses en face.

Sauf erreur, nous avons affaire ici à un conflit familial vécu par une jeune fille, à une collision entre ses aspirations identitaires et les valeurs différentes chères à sa famille, au désir de l’adolescente de s’habiller comme ses camarades de classe. Le patriarcat, qui exige soumission et obéissance, et la honte, qui exige réparation (qui peut prendre la forme de violence spontanée ou planifiée), sont sans conteste en cause dans les mauvais traitements infligés aux jeunes filles et aux femmes.

On ne saurait écarter les composantes religieuses et culturelles du tissu serré des interdits qui frappent les femmes, trop souvent considérées comme des appendices de leurs pères et de leurs frères. Ce sont la foi et les pressions sociales qui ont permis à un groupe isolé de l’Utah de tolérer et de protéger un « prophète » mormon adulé, reconnu coupable de complicité dans un viol et récemment incarcéré. Ce sont la foi et l’adhésion à une doctrine ayant horreur des fonctions corporelles qui exigent des juives orthodoxes qu’elles se purifient après avoir eu leurs règles. C’est la foi, exploitée par un clergé souvent ignare, qui a plongé l’Église catholique dans une misogynie si profonde que la dichotomie Vierge Marie / Marie-Madeleine en est venue à imprégner la culture populaire. La mère ou la putain, avec à peu près rien entre les deux.

Tout ceci peut être matière à débat. Toutefois, dès qu’il est question de l’islam, le débat, ou plutôt le conflit, s’envenime facilement.

Ainsi, plusieurs décennies après la refonte des droits de la personne provoquée par l’émancipation sociale des femmes, les féministes les plus aguerries et les plus combatives marchent sur des œufs et hésitent à lancer la pierre. Le dieu du multiculturalisme, réincarné en un avatar autorisant une interprétation radicale des impératifs religieux et culturels, transcende l’égalité des sexes.

En Afghanistan, avant la déroute du régime taliban, honni, les femmes étaient condamnées à mort par lapidation au moindre prétexte ; pendant ce temps, la communauté internationale s’émouvait davantage de la destruction des statues de Bouddha.

En Afghanistan, une jeune fille en pleurs s’est un jour épanchée sur mon épaule parce que, le lendemain, elle devait prendre la burqa. Qu’on ne vienne pas me dire qu’elle « avait le choix ».

Dans la partie principalement chiite de l’Iraq, de plus en plus de femmes se font assassiner pour avoir enfreint le code vestimentaire. Et en Arabie Saoudite, la loi exige des femmes qu’elles se couvrent de la tête aux pieds.

Il s’agit dans tous les cas d’infantilisation de la femme, de toute évidence considérée comme un succube* lubrique.

Le hijab est différent de la burqa ? Dès qu’il y a contrainte, il n’y a pas de différence.

Il y a quelques années, en Ontario, les femmes ont conquis le droit de se promener la poitrine nue en public. On a maintenant l’impression que ce jalon juridique absurde a été franchi sur une autre planète. Une telle démarche était normale à l’époque, dans un contexte d’émancipation des sexes stridente. De nos jours, nous avons à traiter des plaintes concernant les uniformes portés dans les aéroports - pantalons et jupes à mi-mollet - tellement indécents apparemment qu’ils choquent les sensibilités religieuses.

Où sont les féministes ? Où sont les défenseurs des droits civils ? Où sont les tenants de la laïcité ? Intimidés, ils se taisent.

Je sais tout des familles immigrantes et de leur désir de conserver les traditions de leurs pays d’origine, comportement servile s’il en est. Je sais tout des jeunes filles qui quittent la maison vêtues de manière traditionnelle et qui, en arrivant à l’école, s’empressent de s’habiller à la mode. Je sais tout du désir profond de se fondre dans son groupe d’appartenance, de ressembler aux autres, et non à une Martienne. Il fut un temps où je croyais mon père quand il menaçait de me tuer si jamais je le couvrais de honte. Et je n’ai sans doute pas une seule cousine qui n’ait été battue pour s’être rebellée.

Mais en ce pays, et de mon vivant, ces pratiques n’ont jamais été acceptées socialement. Le temps et le processus d’assimilation gomment les aspérités les plus aiguës. Les enfants d’immigrants, assis entre deux chaises, à cheval sur deux cultures, ont trouvé une zone de confort. Avec le temps, les choses se tassent.
Cela ne se fait pas sans heurt cependant. Parfois, une mort absurde fait les manchettes et inspire le dégoût. Mais d’innombrables autres filles captives mènent des vies marquées par un tranquille désespoir. Durant les angoisses de l’adolescence, davantage de filles attentent à leurs jours qu’il n’y en a qui sont supprimées par des pères moralisateurs et sûrs de leur droit.

Il semblerait qu’Aqsa Parvez, elle, n’ait pas eu droit à suffisamment de temps et de compassion.

Si nous fermons les yeux sur les causes de ce meurtre, sur son lien avec les traditions autoritaires et cautionnées par la religion, sur son lien avec la violence institutionnalisée, nous trahissons notre engagement envers cette fille, maintenant disparue.

Et c’est un engagement que nous devrions tous maintenir.

* Succube : démon femelle ou diablesse qui vient la nuit s’unir à un homme. (Petit Robert)

Source originale en anglais : The Toronto Star, The Star.com, « Keeping the faith for the sake of all our Aqsa Parvezes », le 15 décembre 2007. Les articles de Rosie DiManno sont habituellement publiés les lundis, mercredis, vendredis et les samedis.
Traduction : Raymond Roy, courriel.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er mars 2008

Rosie DiManno, columnist, Toronto Star


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