|
dimanche 11 septembre 2005 Au sein de la marche
|
DANS LA MEME RUBRIQUE Non, l’Arabie saoudite ne peut défendre les droits des femmes à l’ONU ! Nous avons des raisons de craindre les conséquences de l’élection de Donald Trump Stéphane Bureau et désinformation à Radio-Canada au sujet des marches anti-Trump et d’Hillary Clinton Présidence américaine - Les États-Unis haïssent vraiment les femmes Hillary Clinton - Je suis avec elle ! Attentats du 13 novembre, suprématie masculine et violences patriarcales Le relativisme culturel de la gauche compassionnelle À l’origine des jihadistes français : la reconnaissance de l’idéologie islamique comme respectable Quand une organisation religieuse se mêle de politique québécoise Visite canadienne au "Morong 43" (Philippines) - "Mon coeur appartient réellement à ces communautés" Formation offerte par Femmes et Démocratie dans Lanaudière en mai Des poètes québécoises et la question nationale À Voix égales et le FAEJ explorent de nouveaux moyens de faire élire des femmes Nouveau-Brunswick - Le Conseil consultatif sur la condition de la femme victime à son tour de l’idéologie conservatrice Carte électorale - Sortir de l’impasse en réformant le mode de scrutin Le pouvoir des femmes en politique : utopie ou réalité ? Le Congrès offre aux membres de l’Action démocratique du Québec l’occasion de mettre la priorité sur l’obtention d’un mode de scrutin à finalité proportionnelle De la malédiction d’être Arabe Le Conseil du statut de la femme honore une pionnière du droit de vote des Québécoises, Marie Lacoste-Gérin-Lajoie Malalai Joya : le visage du courage Iran - Protestation contre l’exécution des combattant-es kurdes Le Conseil du statut de la femme soucieux de préserver l’accès aux soins de santé des Québécoises Des drag-queens à la fête du PLC De quoi la Palestine est-elle le nom ? 53e session de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies Israël bafoue impunément le droit international à Gaza Obama, le nouveau logo de la marque Amérique La situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967 Manon Tremblay répond à ce qu’on veut savoir sur les femmes et la politique Un vent de droite souffle sur le Québec Toutes les inégalités n’offensent pas le candidat Barack Obama Des femmes se portent à la défense de Clinton Tibet - Quand le génocide devient un gynocide Hillary Clinton et les primaires américaines - Fini, tout cela (bis) Primaires américaines - Etre une femme, c’est finalement pire que d’être noir Primaires américaines - La presse américaine est accusée de céder à l’obamania La longue marche de Hillary Clinton A l’ONU, la prose de Durban 1 s’écrit en pire tous les jours - Une entrevue avec Malka Marcovich "Iran delenda est" - L’Iran doit être détruite, version américaine Il y a bien eu un génocide planifié contre les Tutsi et 250 000 femmes violées au Rwanda en 1994 Il y a bien eu un génocide planifié contre les Tutsi et plus de 250 000 femmes violées au Rwanda en 1994 Proche-Orient : Le Canada doit faire respecter le droit international Le Conseil du statut de la femme ne veut pas d’un débat public Arundathi Roy, guerrière du mot Angela Merkel, première chancelière de l’histoire de l’Allemagne Une femme, présidente du Chili ? "Modèle européen" : l’égalité entre les femmes et les hommes est en danger ! En Suède, un parti féministe menace de déloger le premier ministre Fallouja, véritable four crématoire ! "Notre beau monde occidental" ? Non au génocide de Gaza : Acte III Quand c’est la politique qui salit l’argent Merci, Vos Honneurs Une militante féministe est menacée de déportation ! Non au génocide de Gaza - Acte II Le conflit israélo-palestinien et la liberté académique aux Etats-Unis Etats-Unis - Haïti Non au génocide de Gaza et du peuple palestinien Conférence de la lauréate du prix Nobel de la paix 2003 |
Ce texte s’est mérité le deuxième prix du concours Sisyphe/Remue-ménage. Le 1er et le 3e prix n’ont pas été attribués, le nombre de participant-es étant trop limité et aucun autre texte n’ayant été jugé satisfaisant par la majorité des membres du jury. Les éditions du Remue-ménage remettront à la gagnante des livres de son choix pour une valeur totale de $125. Sisyphe et Remue-ménage remercient celles et ceux qui ont participé à ce concours.
Samedi 18 janvier 2003 à Montréal. Je n’aurais pas raté ça pour tout l’or du monde, Bush qui vire fou avec ses prétentions de cow-boy qui veut montrer à son père qu’il est le plus fort, lui aussi. Il fait froid comme le regard de la couleuvre que j’avais capturée à 12 ans, dans l’étang qui était aussi vert et gluant que le ciel d’aujourd’hui est bleu et clair, malgré les quelques flocons venus d’on ne sait où. Il doit bien faire - 123 degrés mais je sais qu’ici, comme à Toronto, Moscou ou Washington, le froid et le chaud n’ont pas d’importance : nous sommes au sein de l’effort de paix, bien au chaud ensemble partout, à protéger notre Mère la Terre, qui nous a donné la vie. Un rendez-vous crucial, important, solidaire des autres et de soi, un geste parfaitement gratuit, avec bonus de gentillesses en plus, les gens qui chantent, qui font des vagues de son ou encore qui s’excusent si poliment lorsque, par hasard, ils s’accrochent un peu. Une grande famille ensemble, qui marche ensemble pour se rappeler que nous sommes toutes et tous solidaires de celles et ceux qui demeurent au cœur de cancers politiques, au sein de la planète. Et pourtant, en mon sein, l’inquiétude gronde, comme celles des gens autour de moi. Mais les gens autour de moi ne savent pas ce que je vis, ils s’inquiètent aujourd’hui du grand confort des communautés. Et tant mieux. Comment puis-je m’inquiéter tant que cela pour moi, face à de si grands enjeux ? Quelle est l’importance de la petite nouvelle personnelle par rapport aux grandes nouvelles internationales qui sont sources de tant d’angoisse partagée ? Je serai opérée la semaine prochaine. Le médecin a trouvé quelque chose à mon sein qui ne va pas et doit m’opérer. Du kyste au cancer, personne ne sait rien. De la résolution du conflit à la guerre, personne ne sait rien non plus. Tout comme les conflits internationaux, la banalité du cancer du sein ne peut pas me laisser indifférente. Je suis au sein des deux. Et dans les deux cas, j’ose espérer que tout cela finira bien. Mais… pourquoi me préoccuper de ma vie alors que nous sommes ici, à sauver celles de tant de gens ? Mais… pourquoi me préoccuper de la vie des autres, alors que la mienne est menacée ? Est-il possible de ne pas voir l’analogie, le sort de ces vies si étroitement enlacées, comme un enfant naissant se nourrissant à sa mère, comme une marche dans la Nature, ces moments où l’on comprend la véritable définition de la Paix ? À 12 ans, j’ai « piqué » une méga-crise à ma mère parce qu’elle m’a obligée, dorénavant, à porter un chandail quand j’allais me promener dans le bois, alors que mes frères n’étaient pas obligés, eux. J’ai eu beau tempêter et me dire que c’était parfaitement injuste, j’ai perdu ma cause. À 17 ans, je suis allée dans des manifestations diverses, parce que je trouvais que c’était parfaitement injuste, pour elles, pour eux, pour les millions de réfugiées, les femmes mutilées, l’invasion des peuples, la destruction de l’environnement. Et là, c’est mon environnement intérieur qui est mutilé. Au moment où des milliers de gens dans le monde décident ensemble de protéger les autres, de protéger nos mondes extérieurs, mon monde intérieur est menacé. Par en-dedans. En mon sein. Et je suis là, me sentant vraiment au chaud, même s’il doit faire au plus - 123 degrés, au sein d’une foule fermement décidée à rassurer celles et ceux qui en ont besoin, comme l’enfant dort parfaitement rassuré au sein de sa mère qui, elle aussi, se sent apaisée, calme et fondamentalement heureuse. Je ne peux pas m’empêcher de regarder autour de moi, et de me dire qu’emmitouflé-es comme nous le sommes, il n’y a plus de seins, il n’y a plus de forme, il y a des enfants, des adultes, des Raging Grannies, des femmes et des hommes. Dans la foule. Pourtant, de chaque côté de la foule, sur cette rue Sainte-Catherine, il y a cette foule de regards impudiques ou carrément lubriques, il y a, un peu partout, dans ces vitrines et sur les immenses affiches, des femmes qui s’affichent, tous seins dehors, à peine voilés par l’obligation municipale. Des seins à demi-dévoilés, plus érotiques, offerts à la foule de gens qui remettent en question celles et ceux qui les affichent ainsi, sans pudeur, sans éthique, et sans respect de l’autonomie personnelle, comme si nous étions marchandises. « Pas de cadavres en échange du pétrole » disent les affiches blanches qui avancent vers le Consulat américain. Partout, omniprésents, de chaque côté de la foule, des seins inutilement gonflés, artificiellement rajeunis, qui n’ont pour seul but que de rappeler à l’ordre celles et ceux qui veulent autre chose, qui s’aiment et qui aiment les autres. Étant toutes et tous en mode « cœur », cette offrande de chair fraîche provenant des canons de la mode à rabais a quelque chose d’inconvenant et de profondément perturbateur, un peu comme si Bush venait narguer personnellement la foule dans l’avenue commerciale. Et je reviens à moi, j’ai peur des résultats, j’ai peur qu’on m’enlève ce sein, que je ne sois plus qu’une autre femme raisonnable, que je ne sente plus cette qualité érotique, sensuelle, ce rapport à mon état de mère, et ce, même si le cancer ne me tue pas, qu’il m’enlève ce qu’on offre si gratuitement à rabais, sur cette Sainte-Catherine américanisée. Et je reviens à moi, j’ai peur d’avoir l’impression qu’on voie au-dedans de moi, qu’on sache que j’ai souffert et que je souffre encore de n’être pas entière. On a beau vouloir résister aux images culturelles, elles sont tellement omniprésentes, même au sein des bons et des grands gestes, à nous entourer dans notre intimité ; j’ai l’impression que jamais je ne m’habituerai. Parce qu’à 40 ans, j’aime bien montrer qui je suis, je suis de celles qui trouvent important de démontrer leur solidarité planétaire, mais qui offrent le plaisir de la vue de leur décolleté, assez plongeant, à l’homme qui leur plaît. Et qui, lui, n’en fait pas un plat, ne salive pas à sa vue, mais sourit d’un petit air narquois, de l’air de dire qu’il aime bien que je lui fasse plaisir, agréablement vêtu de son veston couleur sarcelle, qui me fait sourire à mon tour, de l’air de lui dire que j’apprécie qu’il se mette aussi beau pour mon seul regard. J’aime à croire que finalement, ce ne sera rien qu’une fausse alerte. Et que la vie recommencera, une cicatrice en plus. Après une telle frayeur, une telle anticipation, la cicatrice ne me dérangera guère. Et je persiste à espérer qu’il en sera pareil pour la guerre. Que les hommes de guerre comprendront. Et j’aime rêver qu’ils s’intéresseront plus à nous plaire, dans de doux échanges d’atouts, que de faire le contraire, de donner la mort, à nous qui donnons la vie. Avant de jouer aux soldats, dans le sable, les hommes ont été amoureux de ce sein. J’aime espérer qu’ils retrouveront cet état de bonheur éthéré qu’ils avaient lorsque, tout petit enfant, nouvel amoureux, ils se lovaient au creux de nous, à portée du sein. La tête couchée sur le sein chaud, la perspective y est bien différente : on voit bien mieux ainsi, le sein se soulevant à l’air de la liberté, rythmé par les battements du cœur. Et non de la guerre. Saint-Marc-sur-Richelieu Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 septembre 2005. |