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mardi 1er novembre 2005 Les Misérables du XXIe siècle
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En 1862, l’écrivain Victor Hugo signait une œuvre dense et manifeste, Les Misérables, dans laquelle il mettait en évidence le clivage entre les puissants et les démunis en focussant sur l’accablement des victimes d’injustices. Tout comme le peintre Millet, ses personnages appartenaient à la lie du peuple, les travailleurs, les affligés, ceux de la base, ceux qui font vivre l’élite riche au sommet. Le temps passe mais les disparités persistent et notre ère qui s’ouvre sur des progrès techniques fulgurants échoue déjà dans l’amélioration des conditions de vie de celles et ceux qu’on peut appeler les Misérables du XXIe siècle. Chaque jour à travers le monde, plus de 50,000 personnes meurent à cause de leur pauvreté. La majorité sont des femmes. Ces statistiques internationales nous concernent et nous rejoignent toujours plus. Au Québec, 80% des gens gagnent moins de 30,000$ par an alors qu’un revenu annuel de 20,101$ représente le seuil de la pauvreté ; donc, beaucoup de gens sont pauvres et plusieurs même vivent sous le seuil de la pauvreté, qu’ils soient travailleurs ou assistés sociaux. Travailler ne garantit pas la sécurité financière, n’empêche pas d’être pauvre. Toujours au Québec, 7,000 emplois sont disponibles pour 160,000 chercheurs d’emplois. Le gouvernement a diminué de 86$ millions le budget de l’aide sociale. Pourtant, il finance allègrement festivals et émissions de télé. Ainsi, avec nos taxes et nos impôts, la série Les Bougons a été produite et diffusée par la société d’état confirmant, et même, augmentant les préjugés à l’égard des pauvres et des assistés sociaux présentés comme des fraudeurs, des malhonnêtes, des paresseux. Cette décision d’influer sur la mentalité sociale par le financement d’un véhicule discriminatoire est contradictoire avec la déclaration de la ministre Michelle Courchesne (ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale) au moment de l’adoption du péjoratif projet de loi 57, alors qu’elle prétendait agir (!?) « pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ». Alors que l’on accuse les pauvres d’être des ignorants, des dilapidateurs qui gèrent mal leur budget, la production agricole mondiale pourrait nourrir 12 milliards d’humains pendant que plus d’un milliard de personnes souffrent de la faim, dont 170 millions d’enfants. Qui gère mal le budget ? Qui s’aplatit devant la puissance des banques, des compagnies pharmaceutiques, des pétrolières, des industries militaires ? Qui entretient des préjugées systémiques et des mesures répressives ? (Suggestion de réponse : les gouvernements) La misère des indigents, ailleurs dans le monde, et le désarroi des Québécois et des Québécoises se ressemblent de plus en plus pour aboutir à la quête et à l’errance. Celles et ceux qui demandent l’accès à la justice, à l’alimentation, à la culture, au logement, à un revenu qui empêcherait l’inquiétude constante, la honte et la solitude liées à la pauvreté sont méprisé-es. Constamment, ils se démènent pour obtenir la précarité : habiter un logement insalubre est déjà un luxe comparativement à l’itinérance, manger des aliments donnés ou périmés est déjà un luxe comparativement à l’inanition. La mère québécoise qui verrouille le frigo avec un cadenas pour que, la nuit, sa famille ne gruge pas les réserves du mois et l’enfant népalais affamé et enchaîné à son métier à tisser des tapis se ressemblent, ils vivent la même maudite misère, celle de la privation des biens essentiels. Le gouvernement ne coupera plus les chèques d’aide sociale, il va les minimiser, les rendre conditionnels. Au lieu de pénalités, il y aura des critères. Longtemps, au Québec, les travailleurs francophones et bilingues employés par des anglophones unilingues étaient appelés « cheap labor ». Désormais, les pauvres, les sans-emplois, les assistés sociaux contraints par les programmes gouvernementaux de réinsertion sociale, de solidarité, d’alternative, etc., qui ne fonctionnent qu’avec 12% de résultats positifs (qui gère mal ?) et qu’on oblige à des tâches non rémunérées, parfois dangereuses, ou à tout le moins pénibles et humiliantes, peuvent être appelés « free labor ». La dignité aussi est maintenant un luxe. Travailler sans être payés, sous la menace, c’est de l’esclavage. On n’ose pas le dire, bien sûr, un fait énorme doit pourtant être exprimé par un mot énorme. Pour la productivité et la rentabilité des corporations qui font vivre les riches, il faut des vieux, des malades, des pauvres et des « free labor », des esclaves, des miséreux ; la pauvreté est institutionnalisée, même au Québec, la misère augmente. Les droits au logement, à l’alimentation, à l’éducation, à la santé, à la liberté, aux besoins de base, sont de plus en plus en péril et ces réalités ne font ni la première page ni les cotes d’écoute. Nous ne sommes pas à l’abri. Savez-vous qu’au Canada il y a eu plus d’esclaves par habitants qu’aux Etats-Unis ? (Cf. Trudel Le dictionnaire des esclaves). L’esclavage n’est pas une situation qui nous est étrangère, il fait partie de notre passé caché parce qu’il n’y a pas de quoi en être fier. Et il n’est pas exagéré ou alarmiste d’en parler maintenant et de le craindre pour l’avenir. Comme le déclarait le cinéaste Pierre Falardeau : « Les Québécois, on n’est pas habitués à dire des choses graves ». Que ce soit pour de la drogue, de l’alcool, ou un chèque, on peut facilement devenir soumis, dépendant et inquiet. Et c’est ça être esclave. Certes les incohérences gouvernementales et les mensonges ministériels sont fréquents, ils ne doivent pas pour autant devenir banals ; ils doivent nourrir la protestation et la réclamation. Nous inciter à nous exprimer. La plainte d’une seule personne équivaut au silence de 600 autres. Faire entendre une objection n’est pas vain. Écrire une revendication n’est pas inutile. Dans l’Histoire de l’humanité, l’homme de Neandertal était le plus robuste, le plus guerrier, et il pratiquait l’infanticide, pourtant, il a disparu au profit de l’homo-sapiens-sapiens qui avait plus de moyens de communications. « Parler c’est vivre », a écrit Claude Halmos. Dans la misère, nous sommes accablés mais pas complètement démunis, il nous reste toujours les mots pour contredire ceux qui nous dédaignent, qui nous ignorent, pour faire savoir notre vécu et nos besoins. Pour répéter encore et encore de façon à conscientiser et à sensibiliser. Au contraire de Platon convaincu que le pouvoir ne peut appartenir au peuple car ce dernier est à la base, Socrate croyait qu’il doit revenir au peuple. Nous avons le pouvoir de notre parole à chaque fois que nous téléphonons à un ministre pour nous plaindre (ça se fait sans en être foudroyé-e), à chaque fois que nous signons une pétition, que nous allons en porter une, seul-e ou en « gang », à chaque fois que nous participons à une manifestation, à chaque fois que nous écrivons une lettre ouverte à un journal ou au site internet d’un poste de télé. Parlez, téléphonez, écrivez, faites valoir vos droits (ils sont de plus en plus en voie de disparition), dites que vous voulez que l’on substitue à l’argument financier des idéaux humanistes, votre affirmation est votre première victoire. Et, puis, qui sait ce qui reste des traces que l’on laisse ? Voici d’abord les coordonnées de la ministre rémunérée à même les fonds publics et qui ne propose rien pour aider véritablement les gens qui en ont besoin ; elle est à notre service, donc on peut lui faire savoir qu’elle ne remplit pas sa tâche. Michelle Courchesne On pourra consulter les livres et les sites suivants : Trudel, Marcel, L’esclavage au Canada Français, histoire et conditions de l’esclavage, Québec, PUL, 1960 Ce site est celui de Craig Kielburger qui, à 12 ans, a créé une organisation pour aider les enfants du monde, travailleurs ou prostitués : « the notion that children and young people themselves can be leaders of today in creating a more just, equitable and sustainable world. » Si les enfants agissent, les adultes aussi ont leur part à faire : http://www.freethechildren.org Sur ce site on peut lire des informations sur l’exploitation des enfants-travailleurs : On peut aussi lire l’ouvrage : Libérez les enfants ! Craig Kielburger avec la collaboration de Kevin Major ; traduit de l’anglais par Nicole Daignault, Montréal : Éditions Écosociété, 1999. Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 octobre 2005. |