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lundi 1er décembre 2008 Lettre à la Gouverneure générale Michaëlle Jean en faveur de la coalition des partis d’opposition à Ottawa
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Sherbrooke, le 1 décembre 2008. Son Excellence la Très Honorable Votre Excellence, C’est avec beaucoup d’enthousiasme que je vous écris au sujet des événements politiques fédéraux de cette fin novembre/début décembre 2008. Si j’étais à votre place, j’éprouverais beaucoup de joie devant le défi qui se dresse devant moi : prendre la meilleure décision pour le Bien de la démocratie parlementaire au Canada, pour le Bien de tout le Peuple. Vous aurez (ou avez en ce moment) des décisions historiques à prendre en tant que Cheffe d’État. Quelle belle expérience politique cela est ! Ce sont des décisions sérieuses et difficiles, mais ô combien captivantes. Je tiens à prendre le temps de vous transmettre mon opinion en tant que citoyenne du Canada et citoyenne de la Nation québécoise. Si j’étais à votre place, j’écouterais Monsieur Stéphane Dion autant que Monsieur Harper. Je ne déclencherais pas d’élections et, advenant un vote de défiance positif, j’accepterais le gouvernement de coalition. D’emblée, j’afficherai mes couleurs : je suis féministe, socialiste, écologiste, indépendantiste et altermondialiste. L’argumentaire que développent les partis membres de la Coalition pour légitimer leurs accords et leurs actions politiques ressemblent beaucoup à celui que je développerais si j’étais placée dans leur situation. Permettez cependant que je m’adresse à vous comme une citoyenne qui est spécialisée en éthique. Je commencerai donc par des questions de fond : quelles doivent être les valeurs promues par le Canada ? En tant que citoyenne du Canada et du Québec, je ne fais pas confiance au gouvernement conservateur pour réaliser le(s) pays dans lequel je veux vivre. Je ne lui faisais pas confiance avant les élections. Je n’ai pas voté pour lui. Il m’a enlevé beaucoup de droits. (Concrètement, celui de pouvoir être reconnue comme chercheure indépendante par Condition féminine Canada et celui d’obtenir le financement de la Société des femmes philosophes dont je suis la Présidente, parce que cette Société a, entre autres, pour mission de faire du lobbying auprès des ministères pour ce qui touche la place des femmes en philosophie dans le curriculum de cours et dans les corps professoraux). Les Conservateurs menacent plusieurs des droits des femmes (avortement, garderies, équité salariale, droits des lesbiennes, etc.), des travailleurs et des travailleuses, des autochtones, des jeunes, des immigrantes et des immigrants, de la flore et de la faune. Ils menacent une véritable reconnaissance constitutionnelle de l’autonomie politique de la nation québécoise. Comme ils sont une menace à la réputation pacifiste et humanitaire des Canadiens et des Canadiennes, des Québécois et des Québécoises, réputation gagnée depuis plusieurs décennies par ceux et celles qui ont choisi antérieurement nos politiques étrangères. Les décisions que vous aurez à prendre ne sont pas que des décisions juridiques, constitutionnelles et procédurales. Bien sûr, vous devrez tenir compte du droit constitutionnel et de la relation entre le Premier Ministre élu il y a six semaines et vous-même votre Excellence. Mais vous naviguerez aussi dans l’inconnu, vous inventerez le chemin à parcourir pour prendre vos décisions. D’autres critères viendront puiser dans votre propre vision du Canada de demain. Votre choix sera aussi un choix politique et éthique engagé, engagée que vous êtes en tant que femme, canadienne, québécoise, haïtienne, journaliste, située idéologiquement au plan politique. En cela vous serez vraiment placée dans la position d’une Cheffe d’État. Cela peut être questionnable. Vous représentez la Reine d’Angleterre et le rôle que l’on vous permet de jouer ici n’est pas celui d’une monarque. Votre rôle est plus limité. Malgré tout, je crois que vous avez en ce moment un espace de liberté que la situation politique vous oblige à utiliser. En tant que Nations, le Canada et le Québec sont à la croisée des chemins. La situation économique mondiale actuelle nécessite un gouvernement centré sur le bien-être de l’ensemble des citoyens et des citoyennes, surtout le bien-être de ceux et celles qui ne pourront pas se relever facilement des pertes encourues par la récession (ou la dépression) actuelle. Les partis d’opposition ont bien démontré, durant les élections et en Chambre depuis, que le gouvernement Harper adopte une perspective de droite en matière économique. Or, celle-ci ne profite habituellement qu’aux plus riches. Quand, maintenant, c’est à tous nos concitoyens et à toutes nos concitoyennes que le Parlement doit penser. 65% de la population canadienne n’a pas voté pour les politiques de Stephen Harper. Ce sont les deux tiers de la population. Et ce n’est certainement pas tous ceux et toutes celles qui ont voté pour lui qui partagent ses valeurs religieuses. Le Canada est une démocratie parlementaire libérale. Notre Droit est de tradition libérale. Les lois qui ont été votées par le passé sont des lois libérales. Une société libérale est une société ouverte, pluraliste, laïque, qui refuse le racisme et le sexisme. Cette société libérale n’est pas le Canada de Stephen Harper. C’est pourquoi les motifs de vos décisions politiques doivent transcender les questions économiques et procédurales pour tendre vers une réelle justice sociale pour tous et toutes. Vous trouverez certainement mon discours idéaliste. Je ne m’empêche pas de l’être, il est vrai. C’est volontairement que je situe mon discours de ce côté. Lorsque de grands moments historiques se présentent à nous, ce sont les principes et les valeurs qui cimentent nos idéaux qui doivent nous guider. Nous devons alors rester loin de la politicaillerie et de la « procédurite ». Laissez ce genre de choses aux journalistes et aux avocats. Ils en font leurs choux gras. J’espère que vous excuserez la passion qui me guide en vous écrivant. Je ne crois pas qu’elle m’aveugle. On me dit que je peux vous faire confiance. Je vous ai entendu lors d’entrevues télévisées à l’époque où vous étiez journaliste. J’appréciais alors vos interventions. Je vous prie donc d’agréer, Votre Excellence, l’expression de mes sentiments distingués et vous souhaite les meilleures conditions pour prendre une décision éclairée. Pascale Camirand, citoyenne et philosophe éthicienne féministe Présidente de la Société des femmes philosophes Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 décembre 2008 |