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lundi 27 septembre 2010

Prostitution et crimes - Rapport d’enquête sur le traitement de l’affaire Pickton par le Service de police de Vancouver

par Lee Lakeman, Vancouver Rape Relief Center






Écrits d'Élaine Audet



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Robert William Pickton a été arrêté en 2002 et condamné à la prison à vie en 2007 pour les meurtres de six femmes prostituées de Vancouver. Mais selon le rapport du Service de police de Vancouver, qui était pratiquement terminé en 2005 mais n’a été rendu public que récemment, la police savait déjà en 1998 que « Pickton était fort probablement un meurtrier et cette information avait été transmise à la GRC de Coquitlam ». En 2002, Pickton avait confié à son codétenu - qui était un policier d’infiltration - avoir tué 49 femmes.

***

Dans un rapport de quatre cents pages au sujet des femmes disparues à Vancouver, Doug LePard du Service de police de Vancouver (SPV) révèle comment les forces policière ont échoué, année après année, à arrêter l’assassin "Willie" Pickton ou à le faire condamner. La stupéfiante incompétence et les nombreuses erreurs découvertes dans le cadre de cette enquête interne ont fait l’objet d’une fuite au bureau du Procureur général de Colombie-Britannique, où ce rapport d’enquête traînait, ignoré et dissimulé depuis cinq ans.

Évidemment, ce n’est pas la faute de la police si les femmes vivant dans les réserves autochtones sont si pauvres qu’elles sont poussées vers les ghettos urbains. Ce n’est pas la faute de la police de Vancouver si l’on fait peu de cas de la violence commise dans les réserves, y compris celle de la prostitution. Ce n’est pas la faute de la police si les femmes assistées sociales sont si pauvres qu’elles se tournent vers la prostitution. Et ce n’est pas la police qui rédige les lois fédérales.

Mais ce n’est qu’aujourd’hui que nous pouvons lire cet examen : après l’abandon des causes de meurtres non résolues, sous l’éclairage intense créé par les familles pleurant les femmes mutilées, nourris par la colère des militant-es pour l’égalité, unanimes à revendiquer une enquête publique complète. Le présent rapport n’est que la première des versions blindées officielles de ce qui ne fonctionne pas dans le système. Restent à venir la version de la GRC, celle de l’industrie du sexe, celle de l’appareil de justice pénale et la version des élus, ceux de Vancouver et du gouvernement de la Colombie-Britannique.

Mais notre volonté de savoir n’acceptera rien de moins qu’une enquête publique complète qui remette en question ces versions de tous les pouvoirs, une enquête ouverte à l’information et aux questions du public (et particulièrement des représentantes des droits des femmes).

Un ramassis de préjugés discriminatoires

La veille de la divulgation de ce rapport, nous, du Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter, réunies autour d’un café, prédisions avec cynisme la série d’alibis qu’allait invoquer la police : les erreurs de gestion, les querelles de juridiction, les erreurs d’autres services de police ou organismes gouvernementaux, les "pénuries" d’argent et de personnel, les manques de formation et de coordination. Elle ressort toujours les mêmes raisons à chaque enquête du coroner ou moment de la reddition de comptes, cherchant à accaparer plus de pouvoir et de ressources. Cette liste d’excuses nous détourne de tout changement systémique dans l’application des lois.

Nous avons aussi joué à deviner ce qui n’apparaîtrait pas dans ce rapport : la teneur du ramassis de préjugés discriminatoires qui régissent les interventions du SPV en matière de violence contre les femmes, et notamment ceux qui concernent plus de cinquante affaires de prostitution meurtrière.

Les personnes disparues étaient des femmes, pour la plupart autochtones ; et leurs amies, les voisins et même les policiers patrouilleurs qui ont signalé leur disparition craignaient qu’elles aient été victimes d’agression. Ces craintes étaient fondées sur la vulnérabilité des femmes en situation de prostitution, la violence bien connue des hommes acheteurs de sexe, la cruauté du racisme sexualisé envers les femmes autochtones dans les rues de Vancouver, et la présence généralisée de toutes les formes de violence contre les femmes. Cette intuition et ces craintes se sont avérées horriblement justifiées.

Manque également dans ce rapport toute recommandation susceptible d’améliorer l’intervention des policiers pour contrecarrer la violence contre les femmes. Malgré ses excuses, LePard continue à ne manifester aucune compréhension du racisme et du sexisme racial en Colombie-Britannique à l’époque actuelle. Il n’analyse toujours pas l’ignorance et les échecs de la police à la lumière d’une compréhension de l’oppression des femmes que facilite cette violence. Faute d’une telle lecture de l’inégalité et d’un examen de la façon dont les pratiques du SPV défavorisent les femmes et notamment les Autochtones, sapent les recours des femmes à la loi contre la violence sexiste et raciste, ce rapport ne fait que perpétuer le problème. Bien que la discrimination sexuelle et raciale dans l’affaire Pickton saute aux yeux, le SPV n’a toujours pas retiré ses œillères.

Refus de prendre au sérieux les disparitions en série

À en croire le rapport d’enquête, la police de Vancouver n’aurait pas pris au sérieux les cas d’absence rapportés et les récits de "disparition". La sénilité, l’extrême jeunesse et la maladie peuvent expliquer le recours au vagabondage. Mais lorsqu’autant de femmes adultes disparaissent, la situation est différente et plus suspecte. Le constable Dave Dickson a travaillé des années dans ce quartier et il a une réputation de compassion auprès de beaucoup d’habituées de l’endroit. Doug LePard reconnaît que le contact de Dickson avec la population lui a permis de comprendre que les disparues étaient des femmes ayant des familles et des proches qu’elles n’auraient pas pu abandonner de but en blanc. Dickson savait que même les femmes les plus toxicomanes ou brisées avaient des engagements, des amitiés et des gens qui les aimaient. Lorsqu’il a fait valoir qu’elles n’avaient pu simplement choisir de disparaître, ses supérieurs au SPV n’ont rien voulu entendre. Le fait que les disparues étaient toutes des femmes était pourtant inhabituel et requérait de la police une analyse différente des raisons et de la façon dont elles ont disparu. Cette lecture, le SPV l’a rejetée durant des années.

Il est évident que les personnes qui ont signalé la disparition de ces femmes – leurs parents, amant-es, ami-es et enfants – l’ont fait parce qu’elles s’inquiétaient des violences qu’elles auraient pu subir. Mais, selon Doug LePard du SPV, les inspecteurs chargés de résoudre les "crimes graves" n’ont pas traité les rapports concernant des "femmes disparues". Pourtant, de tels soupçons de violence, dans une société où les agressions contre les femmes sont si répandues, auraient dû déclencher une enquête comme on le fait pour des crimes graves !

Lorsqu’il s’est finalement intéressé à ce dossier, le SPV savait que bon nombre des femmes disparues étaient pauvres. On leur avait dit que certaines d’entre elles accompagnaient parfois des acheteurs de sexe ; d’autres, des hommes qui leur offraient de la drogue et de l’alcool lors de "partys" où les femmes ainsi intoxiquées étaient appelées à faire leur part en devenant disponibles sexuellement.

Choix d’être prostituées et violentées ?

La police s’en est tenu à son préjugé selon lequel les femmes prostituées étaient, d’une certaine façon, différentes des autres femmes. Le SPV a imaginé que ces femmes différentes n’étaient pas disparues, mais en transit imprévu. Peut-être étaient-elles dans le circuit de la prostitution ou en désintox quelque part… En contrepartie, on a choisi d’ignorer ce que ces femmes avaient de réellement spécifique : leur pauvreté et leur identité autochtone, qui les rendaient donc plus vulnérables face aux acheteurs de sexe.

Les policiers ne pensaient pas aux femmes disparues comme à des femmes semblables à leurs sœurs, leurs tantes et leurs filles qui auraient été piégées dans une situation dangereuse et meurtrière. Le rapport d’enquête parle d’elles comme de « travailleuses du sexe ». La police a donc imaginé des prostituées consentantes, au lieu de les percevoir comme des femmes démunies victimes de racisme. Cette vision fictive – celles de femmes différentes, plus disposées à subir de la violence – a amené le Service de police à se convaincre que les disparues identifiées n’étaient pas réellement disparues mais plutôt en transit, plus disposées à mener, ce que LePard appelle dans le rapport, un "style de vie risqué".

Les femmes disparues avaient surtout comme spécificité le fait d’être démunies et autochtones et, donc, d’avoir particulièrement besoin de protection face à des hommes opportunistes et prédateurs. Le rapport mentionne les preuves de risques de violence accrus de la part des hommes acheteurs de sexe, mais n’explique en rien pourquoi ce facteur n’a pas amené le Service de police à soupçonner et à arrêter les acheteurs de sexe et les proxénètes comme sources les plus probables de ces dangers. La loi interdit aux hommes d’acheter du sexe auprès des femmes, quelles qu’elles soient. Il est contraire à la loi d’organiser l’achat par les hommes de sexe de la part des femmes, ou de fournir des femmes à des hommes acheteurs de sexe. Pourtant, la presque totalité des hommes se livrant à de tels achats n’ont pas été arrêtés et ne le sont toujours pas. Dans une ville qui a souffert de la traite à des fins de prostitution, du tourisme sexuel, de la torture, de la séquestration et de meurtres de femmes prostituées, en plus de l’affaire Pickton, une ville qui a souffert des prédateurs Olsen, Bakker et Ng et ainsi de suite, où est le changement de politique qui s’impose ?

Refus de voir les points communs entre les femmes disparues

La police a fermé les yeux sur les signalements de femmes disparues, même si leur nombre augmentait au cours des mois. Pourtant ces disparitions présentaient des aspects communs pour qui voulait y prendre garde : il était clair qu’il s’agissait de femmes, pour la plupart autochtones. Le rapport d’enquête fait état de quatre ou cinq policières qui ont fait des pieds et des mains pour que soit reconnu cet énorme problème, celui du danger de violence contre les femmes, la possibilité d’un tueur en série de femmes, le risque que les meurtriers échappent à la police par la disparition des preuves dans un contexte de guerres de territoire. Pourquoi n’a-t-on pas accordé davantage foi aux intuitions de ces femmes ? Quel sexisme interne au SPV a rendu moins crédibles ces versions de la réalité, ces rapports déposés par des policières ?

Le rapport établit que les dirigeants du SPV n’ont pas eu recours à l’information disponible au sujet des conditions vécues par les femmes, dont la violence sexiste et le racisme. Le fait de dire "elle choisit un style de vie risqué" autorise implicitement un blâme envers les victimes. L’expression "travailleuse du sexe pour survivre" la blâme implicitement de ses conditions de pauvreté et de toxicomanie. On blâme également les « disparues » d’avoir été disponibles dans la rue plutôt que dans des bordels licenciés, où la violence exercée contre elles serait invisible. Ces reproches équivalent aux blâmes classiques, du genre "elle portait une jupe courte", "elle a trop bu", "elle n’aurait pas dû se trouver dans ce bar", ou "pourquoi reste-t-elle avec un homme violent ?".

Rapport partiel et nécessité d’une enquête publique

Dans les bordels, un espace privé accordé aux acheteurs, où les femmes sont sous licence publique, où la violence est dissimulée par le proxénète ou le propriétaire pour protéger un permis lucratif, où la sécurité des femmes est privatisée au profit du plus haut soumissionnaire, le SPV imagine que les femmes seraient à l’abri de l’enlèvement. À l’abri d’hommes comme Pickton ? Cette année, dans un procès tenu à Vancouver, un acheteur a été reconnu coupable d’avoir battu à mort Nicole Parisien en une explosion de rage de trois minutes dans le bordel de la rue Burrard. Cet acheteur dans la vingtaine s’était indigné de ne pas en obtenir pour son argent, sous prétexte que Nicole n’avait pas réussi à entretenir son érection.

La police doit tenir responsables de la violence exercée en prostitution les acheteurs qui exigent du sexe pour de l’argent. Au lieu d’orienter leurs soupçons vers l’hypothèse la plus évidente – l’implication dans ces disparitions et ces violences d’acheteurs habituels de sexe comme Pickton – le SPV s’est contenté de recueillir des échantillons d’ADN auprès de femmes prostituées pour être en mesure d’identifier leurs cadavres et pour distinguer entre les trois tueurs en série qui opéraient à l’époque. Ils se sont contentés de rapports d’amitié avec les prostituées au lieu de faire leur travail et de criminaliser la violence contre les femmes.

Il y a plus de trente-cinq ans que les femmes de Vancouver se plaignent de l’insuffisance des interventions policières face à l’ensemble des formes de violence contre les femmes. En 2007, des spécialistes en question d’égalité ont discuté à Vancouver des façons de réclamer des améliorations et ont exploré à l’échelle internationale des méthodes efficaces de surveillance citoyenne du travail policier.

Le présent rapport révèle, comme beaucoup d’autres avant lui, qu’à l’instar de bien d’autres plaintes de violences faites aux femmes, les signalements de femmes disparues et de violence soupçonnée ont été minimisés, qualifiés de non fondés et détournés du processus de mise en accusation. Des survivantes et des témoins de scènes horribles de cadavres suspendus et de chairs dépecées ont été accusées d’exagérer ; des rapports ont été perdus, des preuves, gâchées, des corroborations importantes, ignorées, et des indices évidents laissés pour compte. Bref, pendant trop longtemps, ces affaires n’ont pas été traitées comme des crimes graves.

Depuis la mise sur pied en 1973, par des féministes de Vancouver, de l’organisation Vancouver Rape Relief, le premier centre contre le viol au Canada, des données publiques démontrent que les femmes autochtones subissent les pires violences destinées aux femmes et les pires interventions policières. Les femmes autochtones vivent de la violence sexiste au sein de leur famille et de leur collectivité, comme le font toutes les femmes, mais les Autochtones subissent également le poids des hommes au-dessus d’elles dans les hiérarchies raciste et économique. La forme particulière de cette oppression exercée par les hommes blancs et par les hommes ayant de l’argent est à la fois sexuelle et violente et, en prostitution, cette violence est létale. Dans le présent dossier, elle a été mortelle. Mais on aurait tort de penser qu’il s’agit d’un fait isolé.

Le SPV prétend avoir cessé de pénaliser les femmes piégées dans la prostitution. Apparemment, ils reconnaissent enfin que les femmes prostituées sont en situation de victimisation. Merveilleux ! Mais cela ne suffira pas à mettre fin à la violence en prostitution. Le refus d’accorder à ces femmes une protection policière est un scandale. Les flics refusent même de tenir compte des aveux publics des tenanciers exploitant les maisons de débauche. Il est temps de loger des accusations et des poursuites efficaces contre les acheteurs de sexe, les proxénètes et les propriétaires de bordels.

Ce rapport sur le fonctionnement du SPV est incriminant, mais il demeure partiel. Il nous faut ouvrir les boîtes où sont enfermées toutes les versions de cette histoire et les mettre en lumière à la faveur d’une enquête publique exhaustive. Les autorités doivent répondre de ce carnage. Les excuses et les rationalisations a posteriori ne suffisent pas. Les relations doivent changer. Nous devons mettre sur pied des mécanismes permettant une surveillance citoyenne diligente du travail de la police, un processus qui fasse respecter les droits constitutionnels et humains des femmes à la paix et à l’égalité selon la loi.

 Transmis par Lee Lakeman, du Vancouver Rape Relief Center.

 Version anglaise.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 août 2010

Richard Poulin et Yanick Dulong, Les meurtres en série et de masse, dynamique sociale et politique, Montréal, éditions Sisyphe, 2009.



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Lee Lakeman, Vancouver Rape Relief Center

Représentante régionale pour la Colombie-Britannique et le Yukon de l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel. Elle travaille auprès des victimes de viol et d’agressions sexuelles depuis 1973. Elle fait partie de l’organe national de décision de la CASAC, qui comprend les CALACS du Québec et d’autres centres. Le Comité canadien de la Marche des femmes l’a élue au Comité international chargé de discuter la question de la prostitution.



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