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mercredi 8 décembre 2010

Le film "L’Imposture" - La parole de femmes qui veulent se libérer de la prostitution

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Voir où le film est à l’affiche dans des cinémas du Québec.


À l’écoute depuis longtemps d’un discours favorable à la décriminalisation de la prostitution, les médias québécois se montrent généralement complaisants et partiaux quand ils abordent cette forme de violence. Ils soutiennent l’idée de la prostitution comme "métier" et souvent ignorent les témoignages qui égratignent ce mythe. Par exemple, en octobre, lors de la publication du jugement Himel en Ontario, qui suggère de décriminaliser totalement la prostitution, proxénétisme compris, des émissions-phares de Radio-Canada ont présenté des reportages clairement "orientés" en faveur de la décriminalisation en écartant une bonne partie de l’information disponible qui aurait contredit leurs thèses.

"Radio-Canada", "Le Devoir", "La Presse" et d’autres médias ont récemment fait grand cas de la position d’un groupe d’universitaires (1) dénonçant la réaction du Conseil du statut de la femme (2) au jugement Himel. Ils n’ont pas accordé la même considération - il s’en faut de beaucoup - aux personnes et aux groupes qui ont tenté de faire valoir le point de vue d’autres universitaires favorables à la décriminalisation des personnes prostituées et non à celle de la prostitution ni des prédateurs que sont les proxénètes et les "clients" (prostitueurs). C’est de cette façon qu’on parvient à laisser croire à un consensus, pourtant inexistant, en faveur de la décriminalisation de la prostitution, et à inventer que "les" féministes - toutes les féministes - la souhaitent vivement... Mensonge, évidemment, mais depuis quand exigeons-nous des médias qu’ils disent la vérité ? Certains d’entre eux tirent une partie substantielle de leurs revenus de la publicité des "industries du sexe" : alors, l’autorisation légale d’exploiter sexuellement, sans aucune restriction, des femmes dans la prostitution et dans les industries connexes leur conviendrait parfaitement.

Le milieu du cinéma et des arts en général cultive lui aussi une vision mythique et fantasmatique de la prostitution favorable aux "industries du sexe". Les Rencontres internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) ont inscrit à leur programme le film Silver Girl, un documentaire sur des prostituées allemandes de l’âge d’or, prétendument épanouies et heureuses de se prostituer. Le Festival du Nouveau cinéma, qui n’a pas retenu le plus récent film de la réalisatrice Ève Lamont, L’Imposture, a choisi de présenter Les Travailleu(r)ses du Sexe, un documentaire de Jean-Michel Carré, engagé dans la défense du "travail du sexe" en France, un film qui a fait l’objet de sévères critiques de groupes abolitionnistes français (voir notamment cette critique, NetFemmes avait refusé à Sisyphe de l’annoncer sur sa liste de diffusion en février dernier). Le Festival du Nouveau cinéma s’est aussi intéressé à d’autres films de "sexploitation" et de pornocrates, dont Année bissextile et Dirty Paradise, de la porno réalisée par des femmes, qui prétend changer l’image des femmes et les libérer des fantasmes masculins... "On ne compte plus tous les films de fictions, réalisés ici et ailleurs, qui se délectent des images porno et de la femme-marchandise, et qui idéalisent la prostitution", dit la cinéaste Ève Lamont.

***

Le 18 novembre 2010, dans le cadre des Rencontres internationales du Documentaire de Montréal (RIDM), Les Productions du Rapide-Blanc ont lancé à la Grande Bibliothèque de Montréal le film L’Imposture, qui donne la parole à des femmes prostituées ou qui l’ont été. Le film a aussi donné lieu à un débat au même endroit le 20 novembre. Il sera présenté le vendredi 26 novembre 2010 à 19 h 30 et samedi le 27 novembre à 17h45, au Cinéma Cartier de Québec (1019, avenue Cartier), en présence de la réalisatrice et de plusieurs participantes au film.

La cinéaste Ève Lamont a mené une recherche de plusieurs années dans les grandes villes du Québec et leurs périphéries, ainsi qu’à Ottawa. Elle s’est mise à l’écoute d’environ 75 femmes qui lui ont raconté les circonstances de leur entrée dans la prostitution, ce qu’elles y ont vécu ou y vivent encore, leurs espoirs et leurs désespoirs, leurs démarches pour en sortir. "J’ai été abasourdie, dit-elle, par l’ampleur de la violence subie, par tous les intoxiquants qu’elles consomment pour ’geler leurs émotions’ et à quel point il est difficile de sortir de cet engrenage".

Voilà donc des femmes qui ont quitté récemment la prostitution ou qui tentent de le faire, mais qui ne la considèrent pas comme un "métier". Elles mènent un dur combat pour leur réinsertion sociale, pour retrouver l’estime de soi bafouée par les prédateurs que sont les prostitueurs et les proxénètes, pour acquérir la sécurité et la liberté auxquelles tout être humain a droit. L’Imposture nous invite à les accompagner dans leurs réflexions lucides et sans complaisance sur leurs expériences, leurs motivations, leurs difficultés et leurs ambitions.

Le film d’Ève Lamont valorise la parole et la démarche des femmes qui cherchent à se libérer de la prostitution. Cela nous change des films et des discours qui essaient de nous faire croire que la réduction des risques ou des "méfaits" la rendrait tout à fait acceptable. L’Imposture montre ce dont ces femmes sont capables quand elles reprennent confiance en elles et le contrôle de leur vie. Leurs témoignages, souvent touchants, font voler en éclats quelques mythes sur cette prétendue "liberté de choix". "Le but du film était de leur donner la parole et de voir leur réalité sans faire de voyeurisme, de sensationnalisme et de misérabilisme. Même si nous savons que la réalité est bien pire que ça", dit la réalisatrice Ève Lamont. Les récits de ces femmes font prendre conscience des obstacles considérables qu’elles ont à surmonter. On ne peut qu’admirer leur volonté, leur persévérance et leur courage à reconstruire leur vie brisée par cette violence extrême qu’est la prostitution.

On sort du visionnement en se disant qu’aucune femme ne peut choisir librement cette violence, et que, oui, il est possible de quitter la prostitution à la condition d’obtenir l’aide nécessaire. Et l’on se demande pourquoi cette aide fait si souvent défaut à ces femmes. L’Imposture présente la fondatrice de la Maison de Marthe à Québec, l’anthropologue Rose Dufour, qui obtient des résultats tangibles en apportant à ces femmes, jeunes pour la plupart, le soutien dont elles ont besoin pour sortir du labyrinthe prostitutionnel. L’anthropologue se révèle une excellente porteuse du message abolitionniste et, à l’instar des femmes qui livrent leurs témoignages, ses propos sont authentiques et sincères. On ne saurait dire qu’elle pratique la langue de bois...

On se prend à espérer que les institutions publiques et les gouvernements comprennent eux aussi les besoins des femmes qui veulent quitter la prostitution et qu’ils manifestent la volonté de les y aider. C’est le désir de la majorité des femmes que les "industries du sexe" ont prises dans leurs filets. Après tout, gouvernements et institutions n’ont-ils pas un jour accordé l’aide nécessaire aux femmes victimes de violence conjugale, d’abord en reconnaissant cette violence comme un crime, sans prétendre que ces femmes agressées avaient le choix de subir cette violence ou de s’y soustraire ? Pourquoi les femmes prostituées devraient-elles porter la responsabilité et le poids d’une violence pour laquelle leurs agresseurs sont rarement ennuyés parce qu’ils paient ?

"La question fondamentale n’est pas de savoir pourquoi certaines femmes ’choisissent’ de se prostituer, dit Ève Lamont, mais plutôt au nom de quoi certains hommes sont autorisés à acheter du sexe et à utiliser le corps de femmes et d’enfants. Est-il normal, au XXIe siècle, de réduire un être humain à une marchandise sexuelle, un instrument de jouissance et un objet à consommer ?"

Si l’on veut bien prêter l’oreille à un autre discours que le discours néo-libéral, tant décrié en général mais étrangement valorisé quand il est transmis par des propagandistes de "l’industrie du sexe", on apprendra que les femmes dans la prostitution sont en quête d’une forme de liberté qui n’a rien à voir avec la liberté de se prostituer. Mais veut-on vraiment le savoir ?

Un film à voir sans faute, que l’on soit pour ou contre la décriminalisation de la prostitution ou ambivalent-e devant cette question.

Notes

1. Des militantes pro-prostitution ont souvent demandé aux féministes abolitionnistes de se taire, alléguant que seule la parole des personnes qui ont été ou sont encore dans la prostitution est légitime. (Comme s’il fallait être membre du parti conservateur pour critiquer l’idéologie et les politiques de Stephen Harper.) Jamais elles ne mettent en cause, toutefois, la liberté d’expression des universitaires qui théorisent sur la prostitution d’autrui et la justifient au nom du "libre choix". Au contraire, elles s’en servent pour soutenir leur cause.
2. "La prostitution : une atteinte à la dignité des femmes" (CSF).

 Entrevue de Christiane Charette avec la réalisatrice Ève Lamont et Justine, à Radio-Canada, le 21 février 2011.

 Entrevue à l’émission "Dutrizac l’après-midi", le 18 février 2011.

 Voir la bande-annonce à cette page.

  • Fiche technique

    L’Imposture, Québec, 2010, HD Cam, coul., 93 minutes. Documentaire
    Recherche, scénario, réalisation, son et caméra : Ève Lamont
    Montage image : Louise Dugal. Montage sonore : Claude Beaugrand – Francine Poirier
    Musique : Catherine Major
    Productrice : Nicole Hubert
    Productrice exécutive : Sylvie Van Brabant
    Produit par Les Productions du Rapide-Blanc
    Avec la participation financière de SODEC — Société de développement des entreprises culturelles — Québec ; Québec — Crédit d’impôt cinéma et télévision — Gestion SODEC ; Fonds des médias du Canada (FMC) ; Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) ; Canada — Crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne
    Avec la collaboration de Radio-Canada

  • Filmographie d’Ève Lamont à cette page.

  • Biographie d’Ève Lamont.

     Consultez la page Facebook de L’Imposture.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 novembre 2010



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  • Micheline Carrier
    Sisyphe

    Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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