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vendredi 17 décembre 2010


Sur le jugement Himel
Prostitution - Déshabiller Jacqueline pour habiller Jeannette

par La Juge Hot






Écrits d'Élaine Audet



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L’auteure de cet article est juge et préfère garder l’anonymat pour des motifs professionnels.

Fin septembre, la Cour supérieure de l’Ontario a rendu un jugement très attendu par le lobby de la prostitution. Pour la juge Susan Himel, la preuve démontre que les prostituées, surtout de rue, sont très exposées à la violence et plus susceptibles que d’autres femmes de se faire assassiner. Elle a conclu que ces femmes pourraient réduire cette dangerosité en « travaillant » à l’intérieur, munies de systèmes de sécurité, d’un proxénète ou tenancier de bordel ou d’agence, ou du moins en prenant le temps de filtrer les clients au lieu de s’engouffrer en catimini dans une voiture, vu le caractère présentement illégal de la sollicitation aux fins de prostitution.

En les forçant « à choisir entre leur liberté et leur sécurité personnelle », le Code criminel viole la Charte canadienne des droits et libertés, conclut la Cour. Les empêcher de solliciter des clients viole par ailleurs leur liberté d’expression. « C’est un trop grand prix à payer pour éviter une nuisance publique », tranche Madame Himel.

Pour faire accréditer une prostitution encadrée par l’industrie, les requérantes – deux proxénètes et une prostituée – ont soutenu que le commerce de rue était plus dangereux pour les femmes que celui pratiqué derrière des portes closes. La Cour en a convenu, malgré les études déposées par les deux parties attestant les risques de la prostitution hors de vue, ce dont témoignent plusieurs survivantes de l’industrie du sexe (1).

Au Québec, a pourtant noté le professeur Richard Poulin dans un affidavit déposé en preuve, deux sur trois des 29 femmes prostituées ou associées à la prostitution assassinées entre 1989 et 2008 n’étaient pas prostituées sur le trottoir : elles étaient au service d’agences d’escortes, recevaient des clients/prostitueurs chez elles ou se rendaient chez eux (2). Dans les faits, la plupart des agressions vécues par les filles et les femmes en prostitution sont le fait du pimp ; étrange que la juge Himel en fasse un protecteur à légitimer…

Victoire du libéralisme

C’est avec un esprit empreint de libéralisme, cet humanisme de droite, que la juge Himel a décrété que les articles 210, 212 (1) et 213 (1)c) du Code criminel (contre le proxénétisme, la tenue de bordels et la sollicitation) violaient la liberté des requérantes en facilitant la violence envers les femmes en prostitution. (En 1990, la Cour suprême du Canada avait jugé que ces mêmes articles ne contrevenaient pas à la Charte.)

Essayons de comprendre le raisonnement de la juge. Elle retient les arguments suivants :
 La prostitution dans la rue est plus risquée qu’en bordels.
 En interdisant les bordels, le gouvernement force les prostituées à « travailler » dans la rue.
 L’interdit de la sollicitation empêche les femmes de prendre le temps de trier les « clients ».
 L’interdit du proxénétisme empêche certaines personnes de tenir, pour elles-mêmes ou pour d’autres personnes, des bordels présumément sécuritaires ou d’embaucher pour leur protection chauffeur, garde du corps, etc.

La juge Himel a tenu pour neutres et impartiales les expertes des requérantes, telle la professeure Frances Shaver, membre fondatrice du groupe STAR (« Sex Trade Advocacy and Research »). Par contre, elle a ouvertement discrédité les spécialistes appelées en défense, telle la Dre Melissa Farley, psychologue et auteure de plusieurs livres et 15 ans de recherche auprès de femmes en prostitution, sous prétexte que son organisation favorise l’abolition de la prostitution.

Elle n’a retenu non plus aucune des études déposées en défense sur les législations d’autres pays, même si celles-ci démontrent que la décriminalisation de la prostitution n’améliore en rien la sécurité et la santé des prostituées et a peu d’impact sur la prostitution de rue, qui persiste et même s’accroît malgré la création de bordels dits sécuritaires.

Enweye à maison !

Pour protéger les prostituées de la rue, la juge Himel accepte donc la notion d’un « travail » plus sécuritaire derrière des portes closes. Si sa décision est validée en Cour suprême, n’importe quel pimp pourra demain ouvrir des bordels, recruter des filles et racoler des clients, en prenant – comme le gouvernement, bien sûr – sa « cut » des fruits de la prostitution, sous le couvert d’une prétendue protection.

Mais les femmes gagneront-elles quelque chose à ce jugement ? Celles qui pourront quitter la rue pour être baisées à l’intérieur (sous pression d’un harcèlement accru par les autorités municipales) seront-elles mieux protégées par leur proxénète ? Et une prostitution devenue légitime et « sécuritaire » pourra-t-elle être imposée par l’État aux chômeuses, comme cela se fait déjà en France ?(3)

La version officielle des bordels accréditée par Madame la juge semble bien rose : triage des clients, paiement d’avance par carte de crédit, port obligatoire du condom, proxénète bienveillant... Pourtant, des femmes prostituées à l’intérieur ont témoigné qu’il n’en était rien, que le client demeurait roi et le pimp bien plus souvent un boss qu’un employé. On ne les a pas crues.
Lutte de classes ?

Surtout, combien de femmes auront accès à ces conditions qualifiées d’idéales ? Marginales à tous les égards (âge, origine ethnique, antécédents, toxicomanies, souvent en fugue), les femmes prostituées sur la rue sont tout en bas de l’échelle sociale, contrairement aux requérantes de cette cause, professionnelles – et dont deux souhaitent devenir proxénètes. Bref, pour permettre à quelques privilégié-es d’exploiter la prostitution des femmes dans un bordel – comme l’ont reconnu en Cour les requérantes - la juge Himel dépouille les prostituées de rue du peu d’opposition que rencontrent leurs exploiteurs dans notre société.

Il est évident qu’il est urgent de réformer le Code criminel actuel pour mettre fin à la criminalisation des femmes acculées à la prostitution, et je rejoins là-dessus l’opinion de nombreux groupes féministes comme la CLES et le réseau des centres d’aide aux victimes d’agressions sexuelles. Mais je crois avec elles que le proxénétisme et l’achat de « services sexuels » doivent être combattus et des ressources alternatives créées de toute urgence.

Pour reconnaître que les femmes méritent mieux qu’attendre à genoux les miettes du libéralisme.

Notes

1. Rebecca Mott, Chloé, Jade, Sylviane, Trisha Baptie, et al., cette rubrique de Sisyphe.
2. « Prostitution et démocratie ».
3. I.B., « Une offre à poil ? », Le Canard enchaîné, 10 novembre 2010, p. 4.

 Cet article paraîtra demain dans l’édition de décembre 2010 du magazine Le Couac, avec d’autres articles sur la prostitution.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 décembre 2010



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