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dimanche 13 mars 2011

Égypte - Des centaines d’hommes agressent des femmes Place Tahrir lors de la Journée internationale des femmes

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Alors que je faisais part de mon inquiétude à l’effet que les islamistes politiques puissent tirer profit, pour faire obstacle à la liberté des femmes, de l’instabilité créée par les soulèvements populaires en Tunisie et en Égypte, on a dit que mes craintes étaient sans fondement. D’abord, les islamistes ne rallient qu’une minorité, a-t-on affirmé, et ils n’ont pas beaucoup de pouvoir. Puis, dans sa ferveur à conquérir la liberté et la démocratie, le peuple ne voudrait pas plus d’une dictature religieuse que d’une dictature laïque, et il exigerait le respect des droits de tous, y compris ceux des femmes. J’étais sceptique et je le suis toujours.

L’histoire des révolutions dans le monde témoigne d’une autre réalité : les femmes ont souvent été écartées quand l’heure des réformes et de la liberté a sonné. Les droits des femmes sont accessoires, on les sacrifie sans état d’âme à la Grande cause populaire qui, elle, est l’affaire des hommes. Ce n’est pas différent dans l’Égypte post-Moubarak, et le récit d’un témoin direct que vous lirez plus bas démontre l’influence de l’idéologie islamique. Ce n’est pas parce que les islamistes sont minoritaires que leurs valeurs ne sont pas partagées par une partie de la population. En outre, la misogynie n’est pas propre aux intégristes islamistes, nous le savons bien.

La révolution n’est pas encore réalisée qu’on veut renvoyer les femmes à la maison et leur interdire toute ambition politique. Dans la plus pure tradition machiste, comme en Occident d’ailleurs, on a recours à la violence, au harcèlement et au viol comme moyens de persuasion.

Hier, Journée internationale des femmes, des Égyptiennes ont été sauvagement attaquées par ce qu’on aurait pu croire des bêtes sauvages - en réalité, c’étaient des hommes - alors qu’elles manifestaient pacifiquement sur la Place Tahrir pour rappeler leur soutien à la révolution et formuler leurs revendications. Dans son blogue intitulé "Cris d’Égypte - Un Cariote raconte la crise de régime", sur le site de Libération, Aalam Wassef relate comment ces agressions se sont produites. Il adresse sa lettre au président français Nicolas Sarkozy en établissant un lien entre les propos du président sur la Journée internationale des femmes et les événements violents qui se sont produits, la veille, au Caire. Peut-être aurait-il été plus à propos d’adresser cette lettre au gouvernement provisoire de l’Égypte, qui est chargé de maintenir la justice et l’ordre dans ce pays.

Néanmoins, il faut remercier l’auteur d’avoir rapporté ces faits, qu’on ne lit pas beaucoup dans les grands médias conventionnels d’ici. Ce récit peut ouvrir les yeux des gens qui souhaitent tant que la révolution du peuple égyptien réussisse qu’ils ferment les yeux sur ce qui peut la ternir. De ce côté-ci du monde, en effet, certain-es ont tendance à entretenir une vision idyllique de la révolution en Égypte. Tous les défauts d’un patriarcat misogyne et de 30 ans de dictature se seraient envolés par magie sous la clameur du peuple égyptien réclamant la démocratie et le départ de Moubarak. Ceux qui attaqueraient les femmes seraient des "pro-Moubarak", ai-je lu et entendu depuis le viol collectif de la journaliste Lara Logan. Les anti-Moubarak seraient-ils nécessairement des saints ?

Au Québec même, un journaliste vedette de Radio-Canada a banalisé cette agression en disant d’abord que ce n’était pas sûr que la journaliste ait été violée...son employeur (CBS) avait été laconique à ce sujet... Quel argument ! Et puis, a-t-il ajouté, il faut tenir compte du contexte et comprendre que ces gens sont frustrés et qu’ils se défoulent. Quant à savoir pourquoi les femmes qui ont vécu le même régime pendant 30 ans ne violent ni ne brutalisent les hommes, ce n’est pas une question qui vient naturellement quand on cherche à justifier les agresseurs. Les deux femmes, dont une journaliste féministe connue, qui discutaient avec l’éminent journaliste et animateur masculin, n’ont pas relevé cette énormité. Ce qui nous en dit long quant au chemin qu’il reste à parcourir, même chez les féministes, pour oser contredire le pouvoir masculin.

Voici le récit de ce triste événement du 8 mars 2011 au Caire, suivi d’une suggestion que je fais à l’auteur.

***

« Égypte - Lettre à Sarkozy

Le Caire, 9 mars 2011.

Monsieur le Président,

Nous nous réveillons ce matin nos corps et nos esprits encore endoloris des coups, des humiliations et des insultes ignominieuses de la journée d’hier, Journée Mondiale de la Femme.

Un millier de femmes, surtout, et d’hommes s’étaient réunis place Tahrir pour venir offrir et rappeler leur soutien total à l’élan démocratique qui secoue le pays depuis le 25 janvier 2011.

Le groupe avait établi, tout simplement, une liste de demandes basiques conformes aux articles de la déclaration universelle des Droits de l’Homme. Cependant, ces demandes universelles, prononcées et soutenues par des femmes ont déchaîné sur elles les foudres de l’enfer.

À peine arrivés place Tahrir, des hommes, pourtant des manifestants pour la démocratie, se jettent sur un petit groupe d’hommes et de femmes qui portent des tracts et des bannières. Ils lisent quelques tracts et, leur lecture à peine terminée, se métamorphosent en bêtes sauvages : "JAMAIS ! Vous entendez ?! JAMAIS une femme ne sera présidente ! Hé ! Tout le monde ! Venez voir ça ! Il faut brûler ces papiers maintenant ! Il faut brûler ! Brûler !".*

D’autres s’interposent et conduisent le petit groupe dans une tente au milieu de la place. Celle-ci s’appelle "la tente des organisateurs de Tahrir". Le chef de la tente, que tous appellent "le docteur", vient lire les tracts. Il tient un discours qui n’est nul autre que le vôtre, Monsieur Sarkozy. Aussi n’est-il pas la peine que je vous traduise ici les propos du "docteur" au sujet de la Journée Mondiale de la Femme, mais que je vous rappelle ceux-ci : "C’est sympathique, il faut le faire, enfin parfois il faudrait qu’on se concentre sur l’essentiel".

Avant de revenir sur votre déclaration, je voudrais vous faire le récit de cette journée d’horreur.

La manifestation s’est formée au pied du Muggamaa, un bâtiment administratif situé place Tahrir, devant lequel se trouve une esplanade. Un groupe de femmes et d’hommes tiennent des affiches et scandent des slogans sur l’égalité des femmes et des hommes, la place de la femme dans la vie politique et la vie en générale, une législation et une constitution qui garantissent les droits et les libertés de chaque citoyen, quelque soit son sexe, son origine, ses croyances religieuses… En somme, le b-a, ba d’une démocratie digne de ce nom.

À peine 30 minutes plus tard, se forme une contre-manifestation d’hommes. Extraits : "Rentrez nous faire à bouffer", "La constitution ne sera pas laïque", "Quoiqu’il arrive, on va vous baiser ! On va vous baiser !".**

Les manifestantes et manifestants de l’autre bord redoublent d’ardeur et répondent aux provocations, suscitant l’excitation elle aussi redoublée des contre-manifestants qui décident alors de charger. Ils sont arrêtés, pour un temps, par un cordon de volontaires qui font bloc contre une violence et une furie invraisemblables.

Puis, l’horreur absolue.

Deux femmes, puis deux autres sont pourchassées par une horde de 150 ou 200 hommes. Tandis qu’elles tentent de s’éloigner en marchant, ce sont des centaines de mains qui leur attrapent les seins, le sexe, leur tirent les cheveux, les battent. Elles sont entourées par des hommes qui les protègent sur 500 mètres de pur cauchemar. L’intervention de trois militaires, dans les deux poursuites, est providentielle et in extremis. Nous savions tous, dans cette bataille, que nous allions être les témoins de meurtres, de viols et peut-être des deux à la fois, là, en plein jour.

S’en est suivie une nuit de consolation avec les victimes de cette ignomie, quatre femmes dont le courage me fait encore fondre en larmes tandis que je vous écris ces lignes.

Non, Nicolas Sarkozy, vous ne devriez pas, vous Président de la République Française, pays des Droits de l’Homme, dire en public "C’est sympathique, il faut le faire, enfin parfois il faudrait qu’on se concentre sur l’essentiel".

J’attends d’entendre une de ces bêtes féroces me dire aujourd’hui : "Vous voyez, même Sarkozy est d’accord avec nous". Je sais que je vais l’entendre dire avant que la nuit tombe. Dites-moi, je vous prie, ce que vous vous voudriez que je lui réponde.

Merci.

Aalam Wassef »

Source : "Egypte : Lettre à Nicolas Sarkozy"

Commentaire

Aalam, si vous êtes vraiment révolté du sort que vos compatriotes ont fait subir à ces femmes, confrontez-les, ne détournez pas l’attention vers Sarkozy. D’autres se chargeront de souligner son esprit primaire et petit. Il n’a rien à voir dans les agressions brutales que vous décrivez, mais les autorités de votre pays sont concernées. Exigez qu’elles arrêtent et traînent les agresseurs devant la justice. Demandez-leur de déclarer publiquement que toutes les attaques de ce genre seront désormais sévèrement punies. Engagez-vous ouvertement en faveur de l’égalité des hommes et des femmes. Parlez à vos compatriotes misogynes, convainquez-les que les femmes sont leurs égales, qu’elles participent à la révolution égyptienne au même titre qu’eux, c’est-à-dire en tant que citoyennes, et qu’elles doivent obtenir les mêmes droits et les mêmes libertés que les hommes en tant que citoyennes et êtres humains.

Et si, concernant les propos de Sarkozy, quelqu’un vous pose vraiment la question que vous dites redouter, permettez-moi de vous suggérer une réponse toute simple. Dites-lui que si le président français est ignorant et manque de jugement, rien ne l’oblige à l’imiter. Qu’on ne saurait justifier des crimes contre la personne par les propos superficiels d’un politicien étranger. Invitez votre interlocuteur à convaincre ses compatriotes de se comporter comme des hommes et non, pour reprendre vos termes, comme "des bêtes féroces".

Micheline Carrier, Sisyphe.org

* Note de Sisyphe : Cette interdiction est dans le programme des Frères musulmans.
** Discours habituels et universels contre les femmes : attaques verbales à caractère sexuel avant les agressions sexuelles proprement dites.

 Lire aussi :

  • "La démocratie égyptienne : une affaire d’hommes !", par Ayyam Sureau, dans le site La Règle du jeu.
  • "Le soulèvement du monde arabe doit s’accompagner du respect des droits des femmes", par Nadia Chaabane, Sérénade Chafik, Suzy Rojtman, Maya Surduts

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 mars 2011



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  • Micheline Carrier
    Sisyphe

    Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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  • Égypte - Des centaines d’hommes agressent des femmes Place Tahrir lors de la Journée internationale des femmes
    (1/1) 27 mars 2011 , par





  • Égypte - Des centaines d’hommes agressent des femmes Place Tahrir lors de la Journée internationale des femmes
    27 mars 2011 , par   [retour au début des forums]

    Un article du Devoir, le 23 mars 2011, qui se termine ainsi :

    « Figures en vue de la nouvelle donne politique égyptienne, Amr Moussa, actuel secrétaire général de la Ligue arabe, et Mohammed el-Baradei, un des leaders de l’insurrection, s’étaient faits les avocats du Non au référendum en prétextant que la précipitation voulue par le Conseil militaire qui gouverne par intérim va grandement favoriser les seuls groupes organisés. Lesquels ? Les Frères musulmans et les membres de l’ex-Parti national démocratique (PND), soit la formation de l’ex-président Hosni Moubarak.

    « La longueur d’avance dont disposent ces deux courants est donc attribuable à leurs expériences en ces matières, mais aussi à la dispersion des acteurs du printemps égyptien. Divisés entre diverses formations libérales et socialistes, ils évoluent sur le territoire de la... cannibalisation ! De ce brouillard « politico-électoral », les Frères musulmans pourraient tirer avantage plus que n’importe quelle autre formation. Pour s’en convaincre, il suffit de s’attarder à la dernière campagne. À la faveur de celle-ci, ils ont collé à la frange religieuse concentrée, et nombreuse, dans les régions ainsi que dans les quartiers pauvres des grandes villes, où ils s’activent depuis des années et des années.

    « Pour l’heure, les perdants de ce premier rendez-vous sont évidemment les laïques, mais également les Coptes. Il n’a pas échappé à ces derniers le message martelé par les Frères, selon quel voter contre les amendements revenait à voter contre l’article 2, qui stipule que le Coran est la principale source des lois. Espérons que cette crainte soit rangée au rand des mirages. »

     Voir ici. (Réservé aux abonnés du Devoir)


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