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jeudi 12 avril 2012

Quand une femme prostituée est-elle représentative de sa condition ?

par FreeIrishWoman






Écrits d'Élaine Audet



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La question de ce qu’est une "prostituée représentative" de sa condition est d’importance cruciale. Je vais tenter d’y répondre en fonction de mon propre vécu de prostitution et d’une représentation véridique des femmes avec qui j’ai été prostituée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et aux paliers supérieur, moyen et inférieur de l’échelle sociale de la prostitution. Je le fais parce qu’il existait certains points communs dans la vie et les attitudes des femmes dans tous ces secteurs de la prostitution, des éléments précis et sans équivoque.

Une "prostituée représentative" est simplement quelqu’un dont l’expérience vécue de la prostitution et les attitudes qui en découlent sont celles que vit et affiche la majorité du groupe. Il est donc évident que, pour discerner ce qu’est une "prostituée représentative", nous devons examiner quelles sont les attitudes les plus répandues chez les prostituées, les opinions les plus communes sur la prostitution exprimées par celles qui l’ont vécue. Si nous voulons discerner vraiment les caractéristiques qui définissent une "prostituée représentative", alors nous avons besoin de savoir quelles sont les raisons les plus communes pour leur entrée dans la prostitution et quels sont leurs sentiments à propos de ces raisons et de l’endroit où elles les ont conduites.

Nous avons également besoin de savoir (et il est très important de le savoir) quelles sont les expériences et les opinions majoritaires des femmes qui ont déjà été prostituées, parce qu’on a documenté que les opinions des femmes présentent des différences marquées selon qu’elles sont encore dans la prostitution ou sont arrivées à la quitter. Ce facteur a été noté, par exemple, dans l’Évaluation indépendante faite de l’expérience suédoise en 2011. Les conclusions de cette étude font sens pour moi ; en fait, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Mes propres opinions, exprimées alors que j’étais dans le monde de la prostitution, étaient toujours centrées sur l’effort de me protéger. Longtemps, je me le suis reproché amèrement, mais aujourd’hui, je fais de mon mieux pour ne plus m’adresser de tels reproches parce qu’il était tout naturel que je me protège comme je le pouvais, et j’ai aujourd’hui besoin de me traiter avec compréhension et douceur à cet égard.

Personne n’a encore mené, à ce que je sache, d’analyse détaillée de ce que vit de l’intérieur la classe prostituée. De nombreuses études, mais pas de la sorte à laquelle je pense, ont porté sur la prostitution : je voudrais voir une étude qui reflèterait le vécu intérieur de la prostitution de façon à ce que le public la comprenne. Je me demande dans quelle mesure une telle étude serait possible, étant donné mes souvenirs de mes propres réactions de fermeture, de refus que les gens aillent plus loin, aux questions qui m’étaient posées quand j’étais dans la prostitution. Je n’ai pas seulement observé cette attitude chez moi, mais l’ai vue constamment chez mes camarades face aux questions posées par des gens de l’extérieur ; peut-être même n’est-ce donc pas possible, ou du moins pas sans l’utilisation d’un polygraphe. Je sais que c’est ce qu’il aurait fallu pour arriver à me faire exprimer la vérité à cette époque.

Je pense donc qu’il est raisonnable de supposer que nous devrons encore nous passer d’une telle étude ; en son absence, un coup d’œil jeté sur d’autres études, même simplement ici en Irlande, nous donnent les plus forts indices possibles sur la réalité de la prostitution comme expérience vécue. Par exemple, les conclusions de l’étude d’Haughey et Bacik, « A Study of Prostitution in Dublin » (réalisée avec le soutien financier du ministère de la Justice, de l’Égalité et de la Réforme du droit, Trinity College, juin 2000) ont été très révélateurs. Dans cette étude, vingt-neuf des trente répondantes prostituées ont déclaré qu’elles « accepteraient un autre emploi offrant un salaire égal ».

Cela ne nous en dit pas énormément, mais c’est un signal sans ambiguïté que la grande majorité des femmes interrogées ici ne choisiraient jamais, si elles pouvaient gagner la même somme ailleurs, de vivre un moment de plus dans la prostitution.
Les révélations de cette étude ne comportent pour moi aucune surprise. En sept ans de prostitution, je n’ai jamais rencontré de femme qui n’aurait pas accepté un autre emploi offrant le même salaire. Et oui, nous en avons discuté, comme de nombreux autres aspects de la prostitution. Nous en avons discuté parce que nous nous sentions en sécurité de le faire ensemble ; ce n’était que sous le regard scrutateur d’étrangers que notre sentiment de sécurité s’évaporait, et avec elle notre franchise.

Lorsque nous posons la question « Qu’est-ce qu’une "prostituée représentative" ? » nous demandons aussi (ou devrions le faire) qu’est-ce qu’une "prostituée représentative" au niveau mondial. Lorsque la prostitution est le dernier recours pour les femmes dans les pays développés – quand c’est le dernier recours pour les femmes dans les pays dotés de systèmes de protection sociale qui font l’envie du reste du monde – alors il est raisonnable de supposer que la contrainte financière est beaucoup plus la norme dans les pays qui ne bénéficient pas de ces mesures de soutien. Par conséquent, ce que nous voyons de la contrainte en Europe ou en Amérique du Nord n’est rien en comparaison de ce qui est vécu dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Nous savons que les enfants de ces pays sont beaucoup plus susceptibles d’être prostitués que les enfants des pays occidentaux. Devons-nous prendre pour acquis que les femmes et les enfants des pays sous-développés ont une propension plus élevée à affirmer leur « pouvoir personnel » de se prostituer, comme voudrait nous le faire croire le lobby pro-prostitution, ou devons-nous comprendre que leurs conditions financières extrêmes ont peut-être – juste un peu – quelque chose à faire avec cette issue ?

Il est manifestement déraisonnable de supposer qu’il existe la moindre possibilité qu’une "prostituée représentative" à l’échelle mondiale pourrait ressembler à la minorité de femmes prostituées occidentales qui gagnent deux cents livres, euros ou dollars de l’heure. Ces femmes ne sont même pas représentatives des prostituées du monde occidental, sans parler du reste de la planète. Pourtant, des personnes qui n’ont jamais été prostituées même une seconde s’amusent à jouer avec les statistiques de manière à présenter la classe prostituée comme des personnes qui sont, ou du moins qui peuvent être, représentées par le mythe de la happy hooker – ces femmes censées ne faire jamais que ce qu’elles veulent faire, et le faire pour des sommes allant jusqu’à et même dépassant mille euros par nuit. Il est difficile de ne pas haïr les hypocrites sans vécu de prostitution qui colportent ces mythes, en particulier quand ce sont des femmes. Où sont leurs faits basés sur du vécu ? Ces personnes n’en offrent pas. Voici les miens.

Il s’agit d’une courte liste d’une partie des adolescentes prostituées (il ne serait pas exact de les appeler des femmes) que j’ai personnellement connues et côtoyées au travail. J’ai changé leurs noms par respect pour leur vie privée.

Lisa était une "prostituée représentative". Elle a quitté la maison à quinze ans et a été prostituée à dix-sept. Elle ne voulait pas le faire, mais elle ne pouvait même pas envisager de rentrer chez elle, et il n’y avait rien d’autre qu’elle pouvait faire.

Anna était une "prostituée représentative". Elle a quitté la maison à quatorze ans parce que son beau-père l’agressait sexuellement depuis des années. Elle a été prostituée dès dix-sept ans, et n’y trouva rien de très nouveau. La seule différence, c’était de l’argent qui changeait de mains, au lieu de bonbons, de vêtements et de cadeaux. Mais surtout, le plus important pour elle était de pouvoir quitter les lieux à la fin de la rencontre, au lieu d’avoir à dormir toute la nuit sous le même toit que son agresseur.

Tori était une "prostituée représentative". Elle a quitté la maison à dix-huit et travaillait comme strip-teaseuse six mois plus tard ; ce fut sa porte d’entrée et elle fut prostituée avant d’avoir vingt ans. Elle a subi un viol collectif à vingt et un ans, forcée à des rapports successifs avec chacun des agresseurs. Elle n’aurait jamais eu le droit de les dénoncer, parce qu’ils lui ont donné de l’argent avant.

Lillianne était une "prostituée représentative". Elle a quitté la maison à dix-sept ans et s’est retrouvée à faire le trottoir, la même année. Je me souviendrai toujours de sa vulnérabilité et de son visage effrayé, la première nuit. "Penses-tu qu’il sera correct ?", m’a-t-elle demandé avant de monter dans sa voiture. Je lui ai brièvement serré le bras en lui donnant un conseil bien inutile : « Fais attention à toi. »

Marie était une "prostituée représentative". Elle a quitté la maison à quinze ans et a été prostituée à dix-sept. Marie, qui ne savait même pas comment rouler un joint quand elle a commencé dans la prostitution, s’est retrouvée accro à la drogue pendant toutes les années où nous avons travaillé ensemble, et elle l’était encore la dernière fois que je l’ai vue. Je me souviens de son embarras enfantin de ne pas être en mesure de rouler un joint, mais elle a vite appris. Il y a tellement d’autres choses que je souhaite qu’elle n’ait jamais apprises.
J’étais une "prostituée représentative". J’ai quitté la maison à quatorze ans et j’ai été prostituée à quinze. Je suis encore ici, je suis encore vivante, et, heureusement, je ne suis plus accro à la drogue. Les voix auxquelles je fais écho ne sont pas seulement la mienne ; pour moi et pour nous toutes, je ne serai jamais réduite au silence.

Alors oui, la question de ce qu’est une "prostituée représentative" en est une d’importance, c’est juste dommage qu’elle soit parfois posée par des gens qui y répondront malhonnêtement, dans le but de masquer ce qu’est réellement une "prostituée représentative". Un bon conseil sur les intentions de quiconque pose cette question : remarquez bien comment on la formule. Les membres du lobby pro-prostitution seront beaucoup plus susceptibles d’employer le langage aseptisant et banalisant du « travail du sexe » alors on demandera sans doute : « Qu’est-ce qu’une "travailleuse du sexe représentative" ? »

Il s’agit d’un exercice de fausse représentation et de dissimulation, où l’on s’efforce communément d’obscurcir la langue elle-même. Pour les gens du lobby pro-prostitution, il importe d’occulter le profil de la "prostituée représentative", parce que le profil d’une "prostituée représentative" met à nu le profil infiniment laid de la prostitution elle-même.

Copyright © FreeIrishWoman 2012. Tous droits réservés.

Version originale.

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 avril 2012



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  • Quand une femme prostituée est-elle représentative de sa condition ?
    (1/1) 9 avril 2013 , par





  • Quand une femme prostituée est-elle représentative de sa condition ?
    9 avril 2013 , par   [retour au début des forums]

    Difficile pour autant de faire des études en sachant que le nombre de personnes qui acceptent de se témoigner s’avère quasi nul, ou extrêmement difficile..


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