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mardi 29 juin 2004 De la tragédie de la mimesis. Ou comment muer l’objet en sujet répréhensible, par Michèle Causse
23 mai, France culture : Geneviève Fraisse dit ce matin que nous, femmes, sommes sujets de l’histoire. (Pensez donc, nous avons le droit de vote et elle a le droit d’avoir des humeurs à la radio). Ce qui lui permet de condamner la jeune Américaine photographiée tenant en laisse un prisonnier irakien. Interrogeons-nous sur le sujet soldate de l’armée américaine. Soudainement à la "une". Il se trouve qu’elle appartient à l’une des familles pauvres des Etats-Unis, pays si peu démocratique en vérité, qu’il faut chèrement payer ses études là-bas : entre autres en s’engageant dans l’armée*. Ayant rejoint ce "corps" exquisement viril, notre sujet soldate est envoyée dans un lieu dont elle ignorait jusqu’au nom et, ainsi dé/paysée, elle est mise sous les ordres de soldats mâles (comme dans la vraie vie, quoi !). Nul n’ignore désormais que les soldats américains évacuent leur stress sur les recrues féminines qui sont le plus souvent NON consentantes. J’use ici, bien entendu, de la litote. Mais dans un corps d’armée, ce type de secret ne filtre pas. (Ainsi de tous les corps virils constitués, religieux ou laïques). Tant il est vrai que notre jeune soldate photographiée est, dans la vie, engrossée ou, si vous préférez, enceinte des oeuvres du grand sergent que l’on voit debout derrière elle sur la photo. Voilà donc notre femme-sujet (oxymore qui échappe à Geneviève Fraisse ainsi qu’à la plupart des féministes) future mère abusée, soudain priée d’humilier un mâle irakien. Invitée, en somme, à répéter sur l’autre, décrété ennemi" (" libéré" ?) ce qu’on lui fait subir à elle sous des formes sensiblement identiques. On a parlé de la pornographie de ces scènes. Il est impossible d’ignorer encore que, durant la guerre du Golfe, on projetait régulièrement des films porno aux soldats pour les rendre plus agressifs. A qui veut-on faire croire que la guerre et le sexe sont antinomiques ? Tant s’en faut. Ici on voit donc rire la jeune femme "ciblée" par la photo …. Mais devine-t-on ce qui se cache derrière ce rire ? De combien de détresses et de revanches impossibles il est l’expression ? Cette femme qui tient pour quelques instants un homme en laisse (elle a d’ailleurs l’air plus hagard que triomphant) n’est-elle pas l’image inversée de ce qui lui arrive à elle, tous les jours de sa vie ? Et va-t-elle payer devant un tribunal fantoche pour le crime commis par Bush : faire d’une soldate d’occasion, pauvre et trompée, une réplique ponctuelle et hébétée du " héros " qui la commande. Certes, Marie-José Mondzain a raison de souligner le fait que cette image cache quelque chose. Et que ce qu’elle montre est dûment choisi et voulu. Mais alors, réfléchissons bien à la raison pour laquelle l’imagerie mâlique a choisi une pauvre fille comme bourrelle d’ennemis ridiculisés. Oui, décidément, voir les femmes comme sujets de l’histoire est faire preuve d’une curieuse cécité. ENCORE UNE FOIS ELLES SONT MANIPULÉES ET UTILISEES. Au même titre que ces Irakiens dépris de leur virilité et de leur sens de l’honneur. * Le supplément dominical du journal " Le Monde" explique comment sont recrutées les filles : on leur promet de les affecter à des tâches humanitaires de reconstruction de l’Irak.... mais, dès leur arrivée dans le pays, fusil en mains, obligation leur est faite de tuer. Elles sont, à vie, traumatisées. Mais seuls leurs parents s’en inquiètent. 24 mai La revue" Marianne", sous la plume de Martine Gozlan, voit dans la figure de la soldate (mise au pluriel ces femmes américaines tortionnaires) une réincarnation des idoles femelles de l’ère pré-islamique, déesses de la mort (!) et, bien sûr, elle en fait des responsables du probable recul de l’émancipation féminine dans les pays arabes. En effet, de par leur fait, les hommes musulmans ont été avilis, chosifiés, néantisés. Certes, les soldats américains ont bel et bien réduit les prisonniers mâles à l’état de femelles. Qu’on s’en indigne, bien, mais qu’on plaigne d’abord "la condition de la femme" (formule ministérielle) quel que soit le pays d’origine de la toujours-déjà victime. Lettre adressée le 31 mai au courrier des lecteurs de Marianne. Michèle Causse, auteure de Contre le sexage, Balland 2000. Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 juin 2004 Commenter ce texte © Sisyphe 2002-2014 | ||||
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