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jeudi 9 mars 2006
Pour une sexualité vraiment libre

par Patrice Perreault

En ce 8 mars, Journée internationale des femmes, nous souhaiterions attirer l’attention sur un phénomène social qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Celui-ci indique un certain ressac dans la reconnaissance des femmes comme des personnes à part entière. Il s’agit essentiellement de l’hypersexualisation des femmes. En guise d’exemple, pensons à une sexualisation qui s’observe dans certaines publicités. Celles-ci associent étroitement un produit avec le corps féminin. Mais il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg puisque les récents modèles féminins de « réussite » exacerbent la sexualité. Ils proposent la construction d’une identité que dans et par le regard des hommes ! Ne prédisposent-ils pas les femmes, en particulier les plus jeunes, à la soumission dans les relations avec les hommes ? N’y a-t-il pas également une objectivation et un renforcement de stéréotypes sexistes ? Cela n’a-t-il pas pour conséquence d’accentuer des formes insidieuses de dépendance, les femmes cherchant constamment le regard approbateur d’une société androcentrique ?

Ce ressac provient en grande partie de certains lieux communs. Songeons simplement au girl power (1). Cette idée du girl power s’appuie sur une fausse prémisse : celle de la symétrie égalitaire entre les sexes. Selon ce concept, les femmes qui ont atteint pleinement l’égalité, exerceraient leur sexualité en toute liberté. Cela représenterait une preuve d’estime de soi ! Le girl power fait fi de la réalité puisqu’il occulte la discrimination systémique des femmes. Autrement dit, le prétendu « pouvoir » des femmes les confine à de subtiles infériorités, les enferme dans la tyrannie de l’apparence et les entrave dans l’expression de leur potentiel humain.

L’hypersexualisation des femmes s’appuie également sur une compréhension particulièrement réductrice de la « différence » entre les hommes et les femmes s’enracinant dans les réalités biologiques. Cela entraînerait nécessairement une complémentarité homme/femme au niveau des rôles sociaux. Cette conception, fort populaire, justifie une hiérarchisation des fonctions sociales et conséquemment une hiérarchisation des sexes. Mais cette complémentarité hommes/femmes existe-t-elle vraiment ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une manière de percevoir le genre, entendu comme une construction sociale et culturelle façonnant les représentations que nous avons de nous-mêmes et structurant les rapports de domination au sein d’une société patriarcale ? Cela influence en grande partie notre perception de la sexualité puisque : « La sexualité est ainsi culturalisée à partir des relations de pouvoir » (2) .

En troisième lieu, mentionnons que l’hypersexualisation des femmes origine aussi du contexte néolibéral qui ravale les personnes au rang de marchandise ou de ressource humaine. Dans cette optique, la sexualité est instrumentalisée et détournée de sa finalité relationnelle. Pour l’individu, en particulier pour les femmes, elle devient un avantage comparatif dans un monde où l’excellence rime avec survie sociale. Comme le soulignent N. et P. Bouchard : « Pour obtenir l’attention, être reconnue, avoir une place et détenir un peu de pouvoir social, les filles doivent revenir aux vieux stéréotypes de la tentatrice » (3). La sexualité des femmes, inscrite dans des rapports de subordination, est alors valorisée comme une preuve de « compétitivité » et de « performance ». L’obsession présente d’être « gagnant » fragilise les liens sociaux et précarise les relations humaines. Elle colore même celles des couples. Ces derniers sont évalués à l’aune de la « réussite » calquée sur un modèle économique de rentabilité. À notre avis, cela explique davantage les difficultés contemporaines face à la sexualité et aux couples que l’hypothèse, soulevée dans certains milieux, qui affirme que la contraception et le féminisme ont conduit à la « débâcle » de la famille nucléaire.

Nous estimons plutôt que le féminisme a favorisé la libération des modèles contraignants, voire aliénants. Si des avancées se sont accomplies sur le plan politique et social, l’égalité, au niveau de l’intimité, demeure toujours un défi à relever. Sans doute est-ce là l’un des enjeux des féminismes contemporains. Mais l’espoir existe puisque les divers courants féministes ont pavé la voie vers la création de rapports axés sur la reconnaissance mutuelle et égalitaire entre les êtres humains. Ce début est prometteur d’une refondation réelle et enrichissante des relations entre les personnes où la rencontre des corps et des cœurs se vivra pleinement dans la liberté, la dignité, la réciprocité et surtout l’amour.

Patrice Perreault,
Au nom du comité de pastorale sociale Granby et région

Notes

1. Nous reprenons ce concept de Pierrette Bouchard, Natasha Bouchard et Isabelle Boily, La sexualisation précoce des filles, (Coll. Contrepoint), Montréal, Sisyphe, 2005, 17-18.
2. Ivone Gebara, Le mal au féminin. Réflexions théologiques à partir du féminisme, (Coll. Religion et sciences humaines), Paris, L’Harmattan, 1999, 94.
3. Pierrette Bouchard, Natasha Bouchard et Isabelle Boily, op.cit., 18.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 mars 2006.



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